Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/153

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... cependant les hommes d’éphraïm se mirent à crier, et passerent au septentrion, disant : pourquoi, allant contre les ammonites, ne nous a-t-on pas appellés ? Nous allons donc mettre le feu à ta maison... Jephté combattit donc contre éphraïm ; et ceux de Galaad défirent ceux d’éphraïm... ils se saisirent des gués du Jourdain par où les éphraïmites devaient s’enfuir. Et lorsqu’un éphraïmite, fuyant de la bataille, venait sur le bord de l’eau, et disait, laissez-moi passer, je vous prie, on lui répondait, prononce schiboleth , et comme ils prononçaient siboleth , on les tuait aussi-tôt au passage du Jourdain. Et il y en eut quarante-deux mille de tués [1].

    juives pleurerent tous les ans la fille de Jephté pendant quatre jours ; et cette coutume dure encore, dit le texte. Or certainement on n’aurait point pleuré tous les ans une fille qui n’aurait été qu’offerte au seigneur, consacrée, religieuse. Il résulte de cette histoire que les juifs immolaient des hommes, et même leurs enfans ; c’est une chose incontestable. Le même commentateur dit que le sacrifice d’Iphigénie est pris de celui de la fille de Jephté. Rien n’est plus mal imaginé ; jamais les grecs ne connurent les livres des juifs ; et les fables grecques eurent toujours cours dans l’Asie. Si le livre des juges fut écrit du temps d’Esdras, il y avait alors cinq cents ans que l’avanture d’Iphigénie, vraie ou fausse, était publique. Si ce livre fut écrit du temps de Saül, comme quelques-uns le prétendent, il y a plus de deux cents ans entre la guerre de Troye, et l’élection du roi Saül. Langlet, dans toutes ses tables chronologiques, dit que Jephté fit un vœu indiscret de consacrer sa fille à une virginité perpetuelle. Rien n’est plus mal imaginé encore. Où serait l’indiscrétion si la virginité n’avait pas été une espece d’opprobre chez les juifs ? Le pere Pétau, plus sincere, dit, unicam filiam mactavit . Flavien Joseph, le seul juif qui ait écrit avec quelque ombre de méthode, dit positivement que Jephté immola sa fille. Cela ne prouve pas que l’histoire de Jephté soit vraie, mais que c’était l’opinion commune des juifs. Un historien profane, qui n’est pas contemporain, n’est que le secrétaire des bruits publics ; et Flavian Joseph est un auteur profane.

  1. Mr Boulanger prétend que Jephté n’était point un hébreu : " qu’il n’est dit nulle part qu’il fut hébreu ; que c’était un paysan des montagnes de Galaad, qui ne furent point alors possédées par les juifs ; que s’il avait été prince des hébreux, la querelle de la tribu d’éphraïm n’aurait pas eu la moindre vraisemblance ; que d’ailleurs les gués du Jourdain prouvent que le reflux du Jourdain vers sa source, du temps de Josué, est un miracle inutile et absolument faux ; que la fable de quarante-deux mille hommes tués l’un après l’autre aux gués du Jourdain, pour n’avoir pu prononcer schiboleth, est une des plus grandes extravagances qu’on ait jamais écrites ; que si quatre ou cinq fuyards seulement avaient été tués à ces passages pour n’avoir pu bien prononcer, les quarante-deux mille suivants ne s’y seraient pas hazardés. Et de plus, dit-il, jamais ni la tribu d’éphraïm, ni toutes les tribus ensemble de ce misérable peuple, ne purent avoir une armée de quarante mille hommes ; tout est exageré et absurde dans l’histoire juive ; et il est aussi honteux de la croire, que de l’avoir écrite. " il faut avouer que nul homme n’a parlé avec plus d’horreur et de mépris