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DE M. DE LA VISCLÈDE. 331

C'est pourquoi, monsieur, j'ai toujours été étonné de l'atrocité fanatique avec laquelle le jeune Pouget, oratorien, osa parler au vieux La Fontaine, et de la vanité d'écolier avec laquelle il publia son prétendu triomphe sur l'innocence de ce vieil enfanta II était bien ridicule qu'un petit prêtre de vingt-cinq ans allât mettre sur la sellette un académicien de soixante et douze ans. Mais pourquoi faire trophée aux yeux du public de cette victoire si aisée ? C'était l'orgueil qui se vantait d'avoir foulé à ses pieds l'innocence et la simplicité. Et de quoi s'est avisé l'abbé d'Olivet, tout philosophe qu'il était, de réimprimer cette lettre de Pouget ? Cette lettre est précisément la révélation solennelle de la confes- sion du bon La Fontaine. Car n'est-ce pas trahir le secret invio- lable de la confession que d'en apprendre au public toutes les circonstances, tous les entours, et les demandes, et les réponses?

Ce qui me révolte le plus dans l'insolence de Pouget, c'est l'affectation de répéter vingt fois à La Fontaine : Votre livre in- fâme, monsieur ; le scandale de votre infâme livre, monsieur ; les péchés, monsieur, dont votre infâme livre a été la cause ; la réparation publique que vous devez, monsieur, pour votre livre infâme.

Aurait-il osé parler ainsi à la reine de Navarre, sœur de François I"', de qui plusieurs de ces contes plaisants et non in- fâmes sont tirés ? Il lui aurait demandé un bénéfice. Aurait-il même osé donner le nom d'infâme à Coccace, le créateur de la langue italienne, et à l'Arioste, qui n'a d'autre titre dans sa patrie que celui de divin ?

L'aventure de Pouget avec le bonhomme La Fontaine est, au fond, celle de l'âne dans la fable admirable des Animaux ma- lades de la peste - :

L'âne vint à son tour, et dit: J'ai souvenance

Qu'en un pré de moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,

Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. A ces mots on cria haro sur le l)audet. PoiKjetj quelque peu clerc, prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, etc.

1. La Lettre du R. P. Pouijet, prêtre de VOratoire, à M. l'abbé d'Olivet, ou Relation de la conversion de M. de La Fontaine, est imprimée dans le tome I" dos Mémoires de littérature et d'histoire, par le P. Desmokts.

2. Livre VII, fable i.

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