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334 LETTRE

huissiers ; et nous n'aurions point été dédommagés du plaisir de commander en maîtres à six mille esclaves ; nous ne jouirions pas de la consolation de ruiner toutes les années une vingtaine de familles, pour a])prcndro aux autres à nous obéir et à nous respecter.

J'avais lu dans votre historien Mézerai ces paroles qui vous feront frémir : « La liberté de cette noble monarchie est si grande que même son air la communique à ceux qui le respirent, et la majesté de nos rois est si auguste qu'ils refusent de commander à des hommes, s'ils ne sont libres. »

J'avais lu ces autres paroles, non moins condamnables, pro- noncées dans l'assemblée des états de Tours par le chancelier de Rochefort : « Vous ne doutez pas qu'il ne soit plus glorieux à nos monarques d'être rois des Francs que des serfs ^ »

J'avais lu avec douleur dans votre nouvelle Histoire de France que « saint Louis s'occupa plus qu'aucun de ses prédécesseurs du soin d'étendre la liberté renaissante. Ce sage monarque, ami de Dieu et des hommes, ne connut, pendant tout le cours de son règne, d'autre satisfaction que celle de faire servir son pouvoir à jeter les fondements de la félicité publique. La misère, com- pagne inséparable de l'esclavage, disparut ainsi que l'oppres- sion - » .

L'acte d'autorité par lequel la reine Blanche affranchit, pen- dant sa régence, les habitants de Chàtenai, malgré les chanoines de Notre-Dame de Paris*, ne me faisait pas moins de peine.

J'étais effrayé d'un arrêt rendu auxv' siècle par le parlement de Languedoc, portant que tout serf qui entrerait dans le royaume en criant France serait dès ce moment affranchi^.

J'avais craint, jusqu'à ce jour, que ces maximes et ces exemples n'autorisassent nos esclaves à réclamer, comme nouveaux Fran- çais, une liberté dont ils- jouiraient s'ils étaient restés quelques années de plus Savoyards.

•1. Histoire de France pai- Garnler, sous Charles YIII, année 1484, tome XIX, page 200. (Note de Voltaire.)

2. Histoire de France, Villaret, tome XIV, page 191. (/d.)

3. Histoire de France, tome V, page 104, de Velly. (Id.)

4. « Quelque esclave que ce soit qui pourra mettre le pied sur les terres de ce royaume, criant Fiance, sera affranchi de servitude, et entièrement déli\Té de la puissance de son patron. » Mézerai, Histoire de France, sous Charles VII, cité par Villaret, tome XV, page 348. (Id.)

— A l'endroit cité par Voltaire on lit seulement : « Le parlement rendit un arrêt portant que tout homme qui entrerait dans le royaume en criant France serait dès ce moment affranchi. »

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