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336 LETTRE

que ces autours avaient été soupçonnés d'hérésie, et que l'avis d'un avocat général était d'une autorité bien supérieure aux témoignages des Cujas, des Dumoulin, des d'Argentré, etc.

Vous ne sauriez croire, monsieur, combien de personnes dans les provinces pensent comme ce curé. Une espèce de frénésie (pour me servir de vos propres termes) « semble agiter ces esprits turbulents, que l'amour de la liberté porte aux plus grands excès, et qui leur fait envisager le bonheur dans la subversion de toutes les règles et de tous les principes ».

Les insensés, qui pensent rendre heureux les habitants des campagnes en proposant à l'administration de les affranchir de l'esclavage de la glèbe, de leur permettre de racheter des droits qui sont une source de procès continuels, lesquels causent sou- vent la ruine des seigneurs et des vassaux!

Il était temps de sévir contre ces auteurs audacieux, a sem- blables à des volcans qui, après s'être annoncés par des bruits souterrains et des tremblements successifs, finissent par une éruption subite, et couvrent tout ce qui les environne d'un tor- rent enllammé de ruines, de cendres, et de laves, qui s'élancent du foyer renfermé dans les entrailles de la terre ^ ».

Que ce morceau est subhme! Je n'ai jamais rien lu d'appro- chant dans les plaidoyers du chancelier d'Aguesseau.

Nous vous devons, monsieur, une reconnaissance éternelle pour avoir déféré à la vengeance des lois un écrit aussi perni- cieux que celui contre lequel vous vous êtes élevé. Il était bien juste assurément de faire brûler par le bourreau, au pied du grand escalier, cette brochure capable d'échauffer le peuple et de le porter à la révolte; cet écrit, qui renverse les principes fondamentaux de la monarchie, puisqu'il détourne les vassaux de plaider avec leurs seigneurs; qu'il conseille aux uns et aux autres de se concilier, et de convenir, de gré à gré, du prix de l'affranchissement des droits féodaux, qui sont une source inta- rissable de procès. Tout le monde sait que ces procès sont les plus difficiles, les plus compliqués, les plus obscurs de tous; mais ce sont ceux aussi qui procurent aux juges les plus fortes épices. La bonne moitié des procès roule sur des droits féo- daux. Supprimez ces droits, vous supprimez net la moitié des procès; vous paraîtriez soulager les juges, mais vous les dépouil- leriez d'une partie de leur considération et de leurs meilleurs revenus. Vous ruineriez les procureurs, les greffiers, les commis-

I. Cette phrase est dans le réquisitoire de Séguier, du 23 février 1770.

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