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380 ARTICLES EXTRAITS

Il poussa la plaisanterie jusqu'à imprimer dans son roman un sei^mon qu'il avait prononcé sur la conscience; et ce qui est très- singulier, c'est que ce sermon est un des meilleurs dont l'élo- quence anglaise puisse se faire honneur. On le trouve tout entier dans la traduction.

On a été surpris que cette traduction soit dédiée à un des plus graves et des plus laborieux ministres ^quait jamais eus la France, comme un des plus vertueux, 3Iais le vertueux et le sage peuvent rire un moment ; et d'ailleurs cette dédicace a un mérite noble et rare : elle est adressée à un ministre qui n'est plus en place.

On donna un petit extrait - des derniers volumes anglais dans le tome cinquième de la Gazette littéraire de l'Europe, en 1765 ; et il paraît qu'alors on rendit une exacte justice à ce livre. Aussi l'auteur de la Gazette littéraire était-il aussi instruit dans les prin- cipales langues de l'Europe que capable de bien juger tous les écrits. Il remarqua que l'auteur anglais n'avait voulu que se moquer du public pendant deux ans consécutifs, promettant toujours quelque chose, et ne tenant jamais rien.

Cette aventure, disait le journaliste français, ressemble beau- coup à celle de ce charlatan anglais qui annonça dans Londres qu'il se mettrait dans une bouteille de deux pintes, sur le grand théâtre de Haymarket, et qui emporta l'argent des spectateurs en laissant la bouteille vide. Elle n'était pas plus vide que la Vie de Tristram Shandy.

Cet original, qui attrapa ainsi toute la Grande-Bretagne avec sa plume, comme le charlatan avec sa bouteille, avait pourtant de la philosophie dans la tête, et tout autant que de bouffonnerie.

Il y a chez Sterne des éclairs d'une raison supérieure, comme on en voit dans Shakespeare. Et où n'en trouve-t-on pas? Il y a un ample magasin d'anciens auteurs où tout le monde peut puiser à son aise.

Il eût été à désirer que le prédicateur n'eût fait son comique roman que pour apprendre aux Anglais à ne plus se laisser duper par la charlatanerie des romanciers, et qu'il eût pu corriger la nation, qui tombe depuis longtemps, abandonne l'étude des Locke et des Newton pour les ouvrages les plus extravagants et les plus frivoles. Mais ce n'était pas là l'intention de l'auteur de Tristram Shandy. Xé pauvre et gai, il voulait rire aux dépens de l'Angle- terre, et gagner de l'argent.

1. Turgot.

2. Voyez la note, tome XXV, page 107.

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