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DU JOURNAL DE POLITIQUE, ETC. 393

qu'on appelle exactes, ne font aucune attention à ces recueils historiques, à moins qu'ils ne soient écrits avec le style et le génie de Tacite. Malebranclie disait qu'il ne faisait pas plus de cas de l'histoire que des nouvelles de son quartier. La plupart des lec- teurs ne pensent pas ainsi ; ils s'intéressent aux événements de leur siècle, et à ceux qui ont illustré, ou servi, ou affligé leur patrie dans le siècle passé : et quand c'est un ministre d'État, un guerrier qui raconte, l'Europe Técoute. Si les détails peuvent devenir indifférents à la postérité, ils sont chers au temps présent.

Le premier tome de ces Mémoires est employé presque tout entier à raconter les services que rendit Anne-Jules de Aoailles, père d'Adrien, maréchal de France comme lui, et comme ses deux fils. Ces services consistèrent principalement dans l'obéis- sance qu'il devait à Louis XIV , dont les rigueurs poursuivaient les protestants de son royaume depuis l'an 1680. Le dessein était déjà pris d'abattre tous les temples, et de révoquer le fameux édit deNantes, déclaré irrévocabledanstouslestribunauxdu royaume; édit plus célèbre encore par le nom de cet Henri IV, qui avait triomphé de la Ligue catholique par la valeur des réformés, ainsi que par la sienne. Les papes avaient appelé ce grand homme, aïeul de Louis, « génération bâtarde et détestable de Bourbon ^ » ; et Louis XIV, qui venait de recevoir le nom de Grand à l'Hôtel de Ville de Paris, en 1680, s'apprêtait dès lors à détruire l'ouvrage du plus cher de ses prédécesseurs, dans le temps même que le pape Innocent XI se déclarait son ennemi.

Cette contradiction apparente était, dit-on, le fruit des solli- citations du jésuite La Chaise, confesseur du roi, de quel([ues évêques, et surtout du chancelier Le Tellier, et de Louvois son fils, ennemi de Colbert. Il faut savoir que Colbert croyait les réformés aussi nécessaires à l'État sous Louis XIV, par leur industrie, qu'ils l'avaient été à Henri IV, par leur courage. Louvois ne les croyait que dangereux. On persuada au roi qu'il ressemblerait à Constantin et à Théodose en abolissant la religion prétendue réformée ; on lui répéta qu'il n'avait qu'à dire un mot, et que tous les cœurs se soumettraient. Il le crut, parce qu'il avait pen- dant quarante ans réussi dans tout ce qu'il avait voulu. Il ne considéra pas que ces protestants, qu'on appelait à la cour hugue- nots ou religionnaires, n'étaient plus les calvinistes de Jarnac, de Moncontour et de Saint-Denis ; qu'ils étaient sujets soumis, bons

��i. Termes de la bulle de Sixte-Quint; voyez tome XII, page 532, et ci-api'ès l'article xxi du Prix de la justice et de l'humanité.

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