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394 ARTICLES EXTRAITS

soldats dans les armées, utiles dans la paix par le commerce et par les manufactures, et qu'il risquait de faire passer chez ses ennemis de l'industrie et de l'argent. Pour comble de séduction, la marquise de Maintenon, sa nouvelle maîtresse, dont il fit bientôt sa femme, autrefois protestante elle-même, et devenue aussi dévote qu'ambitieuse, se joignit au jésuite La Chaise.

Ce fut dans ces circonstances que Jules de Noailles fut choisi par le roi pour commander en Languedoc ; et d'Aguesseau, père du chancelier, nommé à l'intendance de cette province. Ces deux hommes étaient nés justes et humains; mais il fallait obéir à Louvois. La populace de ce pays est vive, impétueuse, ardente, superstitieusement attachée à sa croyance ; et cette croyance lui est inspirée par des pasteurs qui ressemblent à ce troupeau : c'est au fond, parmi les catholiques et les réformés, le même esprit que celui du temps des Albigeois. La tolérance et la circonspec- tion sont les seules brides qui puissent bien conduire cette nation des anciens Yisigoths. Louvois ne savait que commander : il en- voya des soldats et des bourreaux, avec des missionnaires. On se crut obligé de condamner un pasteur, nommé Audoyer, à être pendu, et un autre, nommé Homel, à être roué, en 1G83. Ces exécutions firent des prosélytes et des martyrs nouveaux dans toutes les provinces méridionales de la France. De faibles sommes que le roi fit distribuer par Pellisson, transfuge catholique, pour acheter des consciences, n'achetèrent que des gueux et des hypo- crites qui allèrent à la messe pour son argent, et qui bientôt retournèrent à leurs prêches. L'enthousiasme de la secte se com- muniqua dans cent lieues de pays, avec plus d'emportement que la flatterie n'avait passé de bouche en bouche avec enthousiasme à Paris et à Versailles, pour Louis XIV, pendant quarante années, soit dans les prologues d'opéra, soit dans les épilogues des ser- mons, soit dans le Mercure. On ne sait que trop qu'il résulta de ces fureurs de religion une guerre civile entre le roi et une partie de son peuple, et que cette guerre civile fut plus barbare que celle des sauvages. Il y périt près de cent mille hommes, dont dix mille moururent par la corde, par la roue, ou par le feu, sous l'administration de l'intendant Lamoignon-Bàville, succes- seur de tlWguesseau. Ce magistrat d'ailleurs était très-éclairé et plein de grands talents, mais entièrement diflerent d'un autre Lamoignon, qui vient de montrer dans nos jours une vertu aussi humaine et une philosophie aussi vraie que le Lamoignon-Bàville fit voir de dévouement à Louis XIV, et d'inflexibilité dans l'exer- cice de son emploi.

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