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SUR L'ESPRIT DES LOIS. 423

une grandeur qu'il n'a pas lui-même. Chez lui il n'y a pas de gloire. » (Page 65.)

Ce chapitre est court ; en est-il plus vrai ? On ne peut, ce me semhle, refuser la magnanimité à un guerrier juste, généreux, clément, libéral. Je vois trois grands vizirs, Kiuperli ou Kuprogli, qui ont ces qualités. Si celui qui prit Candie, assiégée pendant dix années, n'a pas encore la célébrité des héros du siège de Troie, il avait plus de vertu, et sera plus estimé des vrais connaisseurs, \^' qu'un Diomède et qu'un Ulysse. Le grand-vizir Ibrahim\ qui dans la dernière révolution s'est sacrifié pour conserver l'empire à son maître Achmet III, et qui a attendu à genoux la mort pendant six heures, avait certes de la magnanimité.

XXIII.

Chap. xiir, liv. V. « Quand les sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l'arbre au pied, et cueillent le fruit. Voilà le gouvernement despotique. » (Page 65.)

Ce chapitre est un peu plus court encore ; c'est un ancien proverbe espagnol.

Le sage roi AlfonseVP disait : Élague sans abattre. Cela est plus court encore. C'est ce que Saavedra répète dans ses Méditations politiques; c'est ce que don Ustariz, véritable homme d'État, ne cesse de recommander dans sa Théorie pratique du commerce : « Le laboureur, quand il a besoin de bois, coupe une branche, et non pas le pied de l'arbre. )> Mais ces maximes ne sont em- ployées que pour donner plus de force aux sages représentations que fait Ustariz au roi son maître.

Il est vrai que dans les lettres intitulées édifiantes, et même curieuses, recueil onzième, page 315, un jésuite nommé Marest parle ainsi des naturels de la Louisiane : « Nos sauvages ne sont pas accoutumés à cueillir les fruits aux arbres. Ils croient faire mieux d'abattre l'arbre même. Ce qui est cause qu'il n'y a presque aucun arbre fruitier aux environs du village. »

Ou le jésuite qui raconte cette imbécillité est bien crédule, ou la nature humaine des Mississipiens n'est pas faite comme la na-

1. Ibrahim MoUa ou MoUar, dont Voltaire raconte l'origine tome XVI, page 311» et qui, en 1713, fut étranglé entre deux portes, comme Voltaire l'a dit tome XVI, page 315.

2. Alfonse VI est une faute du secrétaire à qui Voltaire dictait, et qui aura mal entendu: c'est Alfonse X, qui est surnommé le Sage ; et c'est dans le recueil de ses lois, connu sous le nom de las Siele Partidas, qu'il émet la maxime rap- portée par Voltaire. (B.)

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