Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/44

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ayant manqué dans son outre, elle laissa son fils couché sous un arbre : elle s’éloigna de lui d’un trait d’arc, et s’assit en le regardant et en pleurant, et en disant : Je ne verrai point mourir mon enfant… Dieu écouta la voix de l’enfant. L’ange de Dieu appela Agar du haut du ciel, et lui dit : Agar, que fais-tu là ? Ne crains rien, car Dieu a entendu la voix de l’enfant : lève-toi, prends le petit par la main, car j’en ferai une grande nation ; et Dieu ouvrit les yeux d’Agar, laquelle ayant vu un puits d’eau, remplit sa cruche, et donna à boire à l’enfant, et Dieu fut avec lui : il devint grand, demeura dans le désert ; il fut un grand archer, et il habita le désert de Pharan ; et sa mère lui donna une femme d’Égypte.

Après cela. Dieu tenta Abraham, et lui dit : Abraham ! Abraham ! Et il répondit : Me voilà ; et Dieu lui dit : Prends ton fils unique Isaac, que tu aimes ; mène-le dans la terre de la vision, et tu m’offriras ton fils en sacrifice sur une montagne que je te montrerai[1]… Abraham donc, se levant la nuit, sangla son âne, et


    trouvaient quelque source saumâtre sous terre dans cette solitude sablonneuse, ils avaient grand soin de la couvrir, et de la marquer avec un bâton. Quel emploi pour le Créateur du monde, dit M. Boulanger, de descendre du haut de son trône éternel pour aller montrer un puits à une pauvre servante à qui on a fait un enfant dans un pays barbare que les Juifs nomment Chanaan !

    Nous pourrions dire à ces détracteurs que Dieu voulut par là nous enseigner le devoir de la charité. Mais la réponse la plus courte est qu’il ne nous appartient ni de critiquer ni d’expliquer la sainte Écriture, et qu’il faut tout croire sans rien examiner. (Note de Voltaire.)

  1. On ne sait point ce que c’est que la terre de la vision. L’hébreu dit dans la terre de Moria. Or Moria est une montagne sur laquelle on bâtit depuis le temple de Jérusalem. C’est ce qui a fait croire depuis à quelques savants téméraires que la Genèse ne put être écrite dans le désert par Moïse, qui, n’étant point entré dans le Chanaan, ne pouvait connaître la montagne Moria. On a cherché si dans le temps où l’on place Abraham les hommes étaient déjà dans l’usage de sacrifier des enfants à leurs dieux. Sanchoniathon nous apprend qu’Illéus avait déjà immolé son fils Jéhud longtemps auparavant. Mais depuis, l’histoire est remplie du récit de ces horribles sacrifices. On remarque qu’Abraham avait intercédé pour les habitants de Sodome, qui lui étaient étrangers, et qu’il n’intercéda pas pour son propre fils. On accuse aussi Abraham d’un nouveau mensonge, quand il dit à ses deux valets : Nous ne ferons qu’aller, mon fils et moi, et nous reviendrons. Puisqu’il allait sur la montagne pour égorger son fils, il ne pouvait, dit-on, avoir l’intention de revenir avec lui. Et on a osé avancer que ce mensonge était d’un barbare, si les autres avaient été d’un avare et d’un lâche qui prostituait sa femme pour de l’argent. Mais nous devons regarder ces accusations contre Abraham comme des blasphèmes.

    D’autres critiques audacieux ont témoigné leur surprise qu’Abraham, âgé de cent soixante ans, ou au moins de cent, ait coupé lui-même le bois au bas de la montagne Moria pour brûler son fils après l’avoir égorgé. Il faut, pour brûler un corps, une grande charrette pour le moins de bois sec, un peu de bois vert ne pourrait suffire. Il est dit qu’il mit lui-même le bois sur le dos de son fils