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COMMENTAIRE SUR L’ESPRIT DES LOIS.

pas la perte de Calais qu’il fallait célébrer, c’était l’héroïsme de François de Guise, qui la reprit au bout de deux cent dix années. Il faut avouer qu’Édouard fut un terrible ennemi, ou du moins un terrible interprète de la loi salique.

Elle fut dans un plus grand danger quand le roi d’Angleterre Henri V fut reconnu roi de France par tous les ordres du royaume.

Elle ne fut pas moins foulée aux pieds dans les états de Paris, quand Philippe II se disposait à donner la France à sa fille Claire-Eugénie. Personne ne peut savoir ce qui serait arrivé si la cour d’Espagne avait laissé le prince de Parme avec plus de troupes en France, et surtout si Henri IV n’avait eu la politique de changer de religion, et le bonheur d’être en même temps éclairé par la grâce.

Cette loi salique est sans doute affermie ; elle sera indisputable et fondamentale tant que la France aura le bonheur d’avoir des princes de cette maison unique dans le monde, qui règne depuis treize siècles[1]. Mais je suppose qu’un jour, dans vingt à trente siècles, il ne reste qu’une seule princesse de ce sang si auguste et si cher : que fera-t-on de ces lignes qui disent filles n’auront aucune portion de la terre ? Que fera-t-on de la devise les lis ne filent point ? On assemblera les états généraux, les descendants de nos secrétaires du roi, les chevaliers de Saint-Michel et de Saint-Lazare d’aujourd’hui, qui seront alors les ducs et pairs, les grands officiers de la couronne ; les gouverneurs de province brigueront le trône de la France. Je suppose que cette princesse qui restera seule du sang royal aura toutes les vertus que nous chérissons avec respect dans les princesses de nos jours ; je suppose encore qu’elle sera très-belle et très-séduisante : en conscience, messieurs des états généraux, lui refuserez-vous le trône où se seront assis ses pères pendant quatre mille ans, et cela sous prétexte qu’il ne faut pas que la Gaule passe de lance en quenouille ?

FIN DU COMMENTAIRE SUR L’ESPRIT DES LOIS.
  1. Il est vraisemblable que Hugues Capet descendait d’une petite-fille de Charlemagne, et Charlemagne d’une fille de Clotaire II. (Note de Voltaire.) — M. Daunou regarde ces généalogies comme fort incertaines. (B.)