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DIALOGUES

rant des courbes, et même en se trompant quelquefois dans leurs calculs ; mais ils ont inventé des arts nouveaux, dont bientôt les Grecs ne pourront plus se passer ; et je vais vous en rendre compte.


DOUZIÈME DIALOGUE.


Inventions des barbares, arts nouveaux, idées nouvelles.


Callicrate.

Dites-moi donc au plus tôt ce que ces barbares ont imaginé de si utile au monde.

Évhémère.

Quand ils n’auraient inventé que les moulins à vent, nous leur devrions une éternelle reconnaissance ; ce ne sont ni des Cassitérides[1] ni des Goths, ni des Celtes, qui ont été les auteurs de cette belle machine : ce sont des Arabes établis en Égypte ; les Grecs n’y ont nulle part.

Callicrate.

Comment est faite cette belle machine ? J’en ai ouï parler, mais je ne l’ai jamais vue.

Évhémère.

C’est une maison montée sur un pivot, et qui tourne à tout vent : elle a quatre grandes ailes qui ne peuvent voler, mais qui servent à briser entre deux pierres le grain recueilli dans la campagne. Les Grecs et nous autres Siciliens, les Romains même, n’ont pas encore l’usage de ces maisons ailées : nous ne savons que fatiguer les mains de nos esclaves à moudre grossièrement ce blé, que nous arrachons à la terre avec tant de peine. J’espère que le bel art des maisons ailées parviendra un jour jusqu’à nous.

Callicrate.

On dit que c’est à notre Sicile que les dieux ont fait la grâce de donner le blé, et que c’est de chez nous qu’il s’est répandu dans une partie du monde : nos épicuriens n’en croient rien ; ils sont persuadés que les dieux sont trop occupés de leur bonne chère pour songer à la nôtre ; et en effet, si Cérès nous avait accordé le blé, elle aurait bien dû nous faire présent aussi d’un moulin à vent.

  1. Des Anglais.