Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/588

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

o7S PRIX DE LA JUSTICE

moins excusal^le que celle du vieux père de famille Calas *.

Au moment que je vous parle, il se passe en Bretagne- une scène non moins révoltante. J'ai été témoin de plusieurs. Le cœur se flétrit, et la main tremble, quand on se rappelle combien dliorreurs sont sorties du sein des lois mêmes. Alors on serait tenté de souhaiter que toute loi fût abolie, et qu'il n'y en eût d'autres que la conscience et le bon sens des magistrats. Mais qui nous répondra que cette conscience et ce bon sens ne s'égarent pas? Ne restera-t-il d'autres ressources que de lever les yeux au ciel, et de pleurer sur la nature humaine?

Nous avons vu, par les lettres de plusieurs jurisconsultes de France, qu'il n'y a point d'année où quelque tribunal ne fasse périr dans les supplices des malheureux dont l'innocence est en~ suite reconnue et non vengée. Il faut de l'argent pour demander justice en révision; mais les pauvres familles qui la demande- raient sont réduites à l'aumône, tandis que dans la capitale trois ou quatre cent mille hommes oisifs, après s'être occupés de con- vulsions pendant vingt ans, disputent gaiement sur un vauxhall, sur un opéra-comique, sur des doubles croches.

§ IIL — Des accusateurs qui administrent des preuves du crime.

Heureuses les nations qui ont été assez sages pour statuer que tout accusateur se mettrait en prison, en y faisant enfermer l'ac- cusé! C'est de toutes les lois la plus juste. Encore les délateurs

dans les tourments. Le mari est exécuté ; la femme, étant grosse de trois mois, est réservée pour être brûlée en relevant de couche. Si par hasard le chancelier de France n'avait été averti, l'iniquité aurait été consommée. Quels dédommage- ments a eus cette femme infortunée? Aucun. A peine cette barbarie a-t-elle été connue. (Note de Voltaire.)

i. Voyez, dans le tome XXVIII, page 425, la Méprise d'Arras.

2. Voici l'aveature de Bretagne : Deux coupables sont condamnés par un parle- ment avec deux femmes réputées complices. Les deux hommes, par leur testament de mort, déclarent que les femmes sont innocentes. Le rapporteur allègue que la loi n'écoute pas cette justification tardive, et veut qu'on les pende tous quatre. Le bourreau, plus pitoyable que le conseiller, et raisonnant mieux, ayant déjà pendu les deux hommes et une femme, conseille tout bas à la dernière de crier qu'elle est grosse. On suspend l'exécution, on écrit à Versailles, et la femme est sauvée.

j\'a-t-on pas vu, dans le procès si connu du comtQ de Morangiés, deux témoins, obstinés à soutenir invariablement le plus absurde mensonge, séduire le juge subalterne à qui on avait renvoyé cette affaire au point que ce juge crut en tout ces deux misérables, et principalement un cocher nommé Gilbert, fameux alors parmi la canaille, et regardé dans le peuple comme le vertueux ennemi de la noblesse ? C'est sur les cris de ce séditieux que le juge osa flétrir un maréchal-de- camp, indignement accusé. Il dut bien se repentir de son erreur, lorsqu'un an après ce généreux cocher fut reconnu pour un voleur public, pour un faussaire, et puni par la justice. {Note de Voltaire.)

�� �