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ET DE L'HUMANITÉ. 581

dire que les Caligula, les Néron, n'osèrent jamais exercer cette fureur sur un seul citoyen romain.

Elle est solennellement prohibée avec exécration dans le vaste empire de la Russie. Elle est abolie dans tous les Etats du héros du siècle, le roi de Prusse ; dans ceux de l'impératrice-reine ; le juste et bienfaisant landgrave de Hesse^ l'a proscrite; elle est abhorrée dans l'Angleterre et dans d'autres gouvernements. Que reste-t-il à faire aux autres provinces de l'Europe qui n'ont pas encore adopté cette législation ?

La Caroline, cette loi fameuse de Charles-Quint, ne parle que de torture. C'était la première procédure dans tout procès crimi- nel ; tandis qu'en France, des commissaires nommés par Fran- çois I"^"", le père des lettres, appliquaient à la torture le comte Montecuculli, sujet de l'empereur Charles-Quint, ridiculement accusé d'avoir empoisonné le jeune dauphin, et qu'ensuite on tirait à quatre chevaux ce gentilhomme innocent.

On ne rencontre dans les livres qui tiennent lieu de code en France que ces mots affreux : question préparatoire, question provisoire, question ordinaire, question extraordinaire, question avec réserve de preuves, question sans réserve de preuves, ques- tion en présence de deux conseillers, question en présence d'un médecin, d'un chirurgien; question qu'on donne aux femmes et aux fdles, pourvu qu'elles ne soient pas enceintes. Il semble que tous ces livres aient été composés par le bourreau.

On est bien surpris de trouver dans ce code d'horreur une lettre du chancelier d'Aguesseau, du k janvier I13h, dans laquelle sont ces propres termes : « Ou la preuve du crime est complète, ou elle ne l'est pas : au premier cas, il n'est pas douteux qu'on doive prononcer la peine portée par les ordonnances; mais, dans le dernier cas, il est aussi certain qu'on ne peut ordonner que la question ou un plus ample informé-. »

Quel est donc l'empire du préjugé, illustre chef de la magis- trature! Quoi! vous n'avez point de preuves, et vous punissez pendant deux heures un malheureux par mille morts, pour vous mettre en droit de lui en donner une d'un moment! Vous savez assez que c'est un secret sûr pour faire dire tout ce qu'on voudra à un innocent qui aura des muscles délicats, et pour sauver un coupable robuste. On l'a tant dit! il en est tant d'exemples! Est-il

��1. Frédéric II, né en 1720, landgrave en 1700, mort en 1785. 'i. Cette lettre est rapportée dans l'Instruction criminelle, page 701. (Note de Voltaire.)

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