Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

te punir ; mais le dieu de ton pere m’a dit hier : prends garde de molester Jacob. Eh bien ! Veux-tu t’en aller voir ton pere Isaac ? Soit ; mais pourquoi m’as-tu volé mes dieux ? Jacob lui répondit : je craignais que tu ne m’enlevasses tes filles par violence ; mais, pour tes dieux, je consens qu’on fasse mourir celui qui les aura volés [1]. Laban entra donc dans les tentes de Jacob, de Lia, et des servantes, et ne trouva rien. Et étant entré dans les tentes de Rachel, elle cacha promptement les idoles sous le bât d’un chameau, s’assit dessus et dit à son pere : ne te fâche pas, mon pere, si je ne puis me lever : car j’ai mes ordinaires. Alors Jacob et Laban se querellerent et se racommoderent, puis firent un pacte ensemble. Ils éleverent un monceau de pierres pour servir de témoignage, et l’appellerent le monceau du témoin, chacun dans sa langue. Comme il était seul en chemin pendant la nuit, voici qu’un phantôme lutta contre lui du soir jusqu’au matin ; et ce phantôme, ne pouvant le terrasser, lui frappa le nerf de la cuisse qui se sécha aussitôt, et le phantôme, l’ayant ainsi frappé, lui dit : laisse-moi aller ; car l’aurore monte. -je ne te lâcherai point, repondit Jacob, que tu ne m’ayes béni. Le spectre dit : quel est ton nom ? Il lui répondit : on m’appelle Jacob. Le spectre dit alors : on ne t’appellera plus Jacob : car si tu as pu te

  1. on ne voit dans toute cette histoire que des larcins. L’idolâtre Rachel, quoiqu’elle soit la figure de l’église, vole les théraphim , les idoles de son pere. était-ce pour les adorer ? Pour avoir une sauvegarde contre les recherches ? Elle feint d’avoir ses ordinaires pour ne se point lever devant Laban ; comme si une femme, qui passait sa vie à garder les troupeaux, ne pouvait se lever dans le temps de ses regles. On demande ce que c’était que ces théraphim ? C’étaient sans doute de ces petites idoles, telles qu’en fesait Tharé Le Potier ; c’étaient des pénates. Les hommes de tous les temps et de tous les pays ont été assez fous pour avoir chez eux de petites figures, des anneaux, des amulettes, des images, des caracteres auxquels ils attachaient une vertu secrette. Le pieux énée, en fuyant de Troye au milieu des flammes, ne manque pas d’emporter avec lui ses théraphim, ses pénates, ses petits dieux. Quand Genseric, Totila, et le connétable de Bourbon, prirent Rome, les vieilles femmes emportaient ou cachaient les images en qui elles avaient le plus de dévotion. Il reste à savoir comment l’auteur sacré, qui plusieurs siecles après écrivit cette histoire, a pu savoir toutes ces particularités, tous ces discours, et l’anecdote des ordinaires de Rachel. C’est sur quoi le professeur de médecine Astruc a écrit un livre intitulé : conjectures sur l’ancien testament : mais ce livre n’a pas tenu ce qu’il promettait. (Note de Voltaire.) — L’ouvrage d’Astruc est intitulé Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Moïse s’est servi pour composer la Genèse, avec des remarques qui appuient ou éclaircissent ces conjectures. 1753, in-12.