Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/69

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Après cela, il arriva que deux autres eunuques du roi d’égypte, son échanson et son panetier [1], furent mis dans la prison du prince de l’armée, dans laquelle prison Joseph était enchaîné. Et ils eurent chacun un songe dans la même nuit. Ils dirent à Joseph : nous avons eu chacun un songe, et il n’y a personne pour l’expliquer. Et Joseph leur dit [2] : n’est-ce pas Dieu qui interprête les songes ? Raconte-moi ce que tu as vu. Le grand échanson du roi lui répondit : j’ai vu une vigne ; il y avait trois branches qui ont produit des boutons, des fleurs et des raisins mûrs ; je tenais dans ma main la coupe du roi ; j’ai pressé dans sa coupe le jus des raisins, et j’en ai donné à boire au roi. Joseph lui dit : voici l’interprétation de ce songe. Les trois branches sont trois jours, après lesquels pharaon te rendra ton emploi, et tu lui serviras à boire comme à l’ordinaire. Je te prie seulement de te souvenir de moi, afin que le pharaon me fasse sortir de cette prison ; car j’ai été enlevé, par fraude, de la terre des hébreux, et j’ai été mis dans une citerne. Le grand panetier dit à Joseph ; j’ai eu aussi un songe. J’avais trois paniers de farine sur ma tête ; et les oiseaux sont venus la manger. Joseph lui répondit : les trois corbeilles signifient trois jours, après quoi pharaon te fera pendre, et les oiseaux te mangeront. Trois jours après arriva le jour de la naissance de pharaon : il fit un grand festin

  1. il se peut que dans des temps très postérieurs le mot eunuque fût devenu un titre d’honneur ; et que les peuples, accoutumés à voir ces hommes, dépouillés des marques de l’homme, parvenus aux plus grandes places pour avoir gardé des femmes, se soient accoutumés enfin à donner le nom d’eunuques aux principaux officiers des rois orientaux : on aura dit l’eunuque du roi, au lieu de dire le grand écuyer, le grand échanson du roi ; mais cela ne peut être arrivé dans des temps voisins du déluge. Il faut donc croire que Putiphar et ces deux officiers, qualifiés eunuques, l’étaient véritablement. (Note de Voltaire.)
  2. l’explication des songes doit être encore plus ancienne que l’usage de châtrer les hommes que les rois admettaient dans l’intérieur de leurs palais. C’est une faiblesse naturelle d’être inquiet d’un songe pénible ; et quiconque manifeste sa faiblesse, trouve bientôt un charlatan qui en abuse. Un songe ne signifie rien ; et si par hazard il signifiait quelque chose, il n’y aurait que Dieu qui le sût et qui pût le révéler. Il est défendu dans le lévitique d’expliquer les songes ; mais le lévitique n’était pas fait du temps de Joseph. On doit croire que Dieu même l’instruisit, puisqu’il dit que Dieu est l’interprete des songes. Ce qui peut embarrasser, c’est qu’il semble ici que le pharaon et ses officiers et Joseph reconnaissent le même dieu. Car, lorsque Joseph leur dit que Dieu envoie les songes et les explique, ils ne repliquent rien ; ils en conviennent. Cependant l’égypte et les enfans de Jacob n’avaient pas la même religion : mais on peut reconnaître le même dieu, et différer dans les dogmes. Les catholiques romains et les catholiques grecs, les luthériens et les calvinistes, les turcs et les persans, ont le même dieu, et ne sont point d’accord ensemble. (Id.)