Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/99

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le veau et les danses ; et de colere il jetta les tables et les brisa, et prenant le veau qu’ils avaient fait il le mit au feu, et le réduisit en poudre, et répandit cette poudre dans l’eau, et en donna à boire aux fils d’Israël. Puis Mosé se mit à la porte du camp, et dit : si quelqu’un est au seigneur, qu’il se joigne à moi ; et les enfans de Lévi s’assemblerent autour de lui, et il leur dit. Voici ce que dit le seigneur : allez, et revenez d’une porte à l’autre par le milieu du camp, et que chacun tue son frere, son ami, et son prochain [1]. Le seigneur frappa donc le peuple pour le crime du veau qu’avait fait Aaron [2]  ; et le seigneur parla donc à Mosé, et lui dit :

    A dieu ne plaise que nous adoptions jamais de tels blasphêmes, quelque difficulté que nous trouvions à expliquer un événement si hors de la nature. Nous ne pouvons soupçonner un lévite d’avoir ajouté quelque chose au texte sacré. Nous regardons seulement cette histoire prodigieuse comme les autres choses encore plus prodigieuses que Dieu fit pour exercer sa justice et sa misericorde sur son peuple juif ; le seul peuple avec lequel il habitait continuellement, délaissant pour lui tous les autres peuples.

  1. cet article n’est pas le moins difficile de la ste écriture. Il faut convenir d’abord que l’on ne peut réduire l’or en poudre en le jettant au feu ; c’est une opération impossible à tout l’art humain ; tous les systêmes, toutes les suppositions de plusieurs ignorants qui ont parlé au hazard des choses dont ils n’ont pas la moindre connaissance, sont bien loin de résoudre ce problême. L’or potable, dont ils parlent, est de l’or qu’on a dissous dans de l’eau régale ; et c’est le plus violent des poisons, à moins qu’on n’en ait affaibli la force ; encore ne dissout-on l’or que très imparfaitement ; et la liqueur dans laquelle il est mêlé est toujours très corrosive ; on pourrait aussi dissoudre de l’or avec du souffre ; mais cela ferait une liqueur détestable, qu’il serait impossible d’avaler. Si donc on demande par quel art Mosé fit cette opération, on doit répondre que c’est par un nouveau miracle que Dieu daigna faire, comme il en fit tant d’autres. Tout ce que dit là-dessus Don Calmet, est d’un homme qui ne sait aucun principe de chymie. Mosé fait ici une autre action, qui n’est pas absolument impossible ; il se met à la tête de la tribu de Lévi, et tue vingt-trois mille hommes de sa nation, qui tous sont supposés être bien armés, puisqu’ils venaient de combattre les amalécites. Jamais un peuple entier ne s’est laissé égorger ainsi sans se défendre : il n’est point dit que les lévites fussent exempts de la faute de tout le peuple ; il n’est point dit qu’ils eussent un ordre exprès de Dieu de massacrer leurs freres ; et un ordre exprès de Dieu semble nécessaire pour justifier cette boucherie incroyable. Le texte porte que les lévites passerent d’une porte du camp à l’autre : il n’est gueres possible que trois millions de personnes aient été dans un camp, et que ce camp eût des portes, dans un désert où il n’y eut jamais d’arbres ; mais c’est une faible remarque en comparaison de la barbarie avec laquelle Mosé dit aux lévites : vous avez consacré aujourd’hui vos mains au seigneur ; chacun de vous a tué son fils ou son frere afin que Dieu vous bénisse. Il eût été plus beau sans doute à Mosé de se dévouer pour son peuple, comme on le dit des Codrus et des Curtius. Adorons humblement les voies du seigneur, mais gardons-nous de louer la fureur abominable de ces lévites, qui ne doit jamais être imitée pour quelque cause que ce puisse être.
  2. le texte dit expressément que Dieu frappa le peuple pour le péché