Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/114

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punir après notre mort, selon nos œuvres. Socrate et Platon, qui les premiers développèrent cette idée, rendirent donc un grand service au genre humain en mettant un frein aux crimes que les lois ne peuvent punir.

La loi juive attribuée à Moïse, ne promettant pour récompense que du vin et de l’huile, et ne menaçant que de la rogne et d’ulcères dans les genoux, était donc une loi de barbares ignorants et grossiers.

Les premiers disciples de Jean le Baptiseur et de Jésu, s’étant joints aux platoniciens d’Alexandrie, pouvaient donc former une société vertueuse et utile, à peu près semblable aux thérapeutes d’Égypte.

Il était très indifférent en soi que cette société pratiquât la vertu au nom d’un Juif nommé Jésu ou Jean, avec qui les premiers chrétiens, soit d’Alexandrie, soit de Grèce, n’avaient jamais conversé, ou au nom d’un autre homme, quel qu’il pût être. De quoi s’agissait-il ? D’êtres honnêtes gens, et de mériter d’être heureux après la mort.

On pouvait donc établir une société vertueuse dans quelque canton de la terre, comme Lycurgue avait établi une petite société guerrière dans un coin de la Grèce.

Si cette société, sous le nom de chrétiens, ou de socratiens, ou de thérapeutes, eût été véritablement sage, il est à croire qu’elle eût subsisté sans contradiction : car, supposé qu’elle eût été telle qu’on a peint les thérapeutes et les esséniens, quel empereur romain, quel tyran aurait jamais voulu les exterminer ? Je suppose qu’une légion romaine passe par les retraites de ces bonnes gens, et que le tribun militaire leur dise : « Nous venons loger chez vous à discrétion. — Très volontiers, répondent-ils ; tout ce qui est à nous est à vous ; bénissons Dieu, et soupons ensemble. — Payez le tribut à César. — Un tribut ? Nous ne savons ce que c’est, mais prenez tout. Puisse notre substance engraisser César ! Venez avec vos pioches et vos pelles nous aider à creuser des fossés et à élever des chaussées. — Allons, l’homme est né pour le travail, puisqu’il a deux mains. Nous vous aiderons tant que nous aurons de la force. » Je demande s’il eût été possible qu’une légion romaine eût été tentée de faire une Saint-Barthélemy d’une colonie si douce et si serviable ; l’aurait-on exterminée pour n’avoir pas connu Jupiter et Mercure ? Il le faut avouer avec sincérité et avec admiration, les Philadelphiens, que nous nommons quakers, trembleurs, ont été jusqu’à présent ce peuple de thérapeutes, de socratiens, de chrétiens dont nous par-