Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lord Peterborough en voyant Marly dit : « Il faut avouer que les hommes et les arbres plient ici à merveille. » Il disait de George Ier : « J’ai beau appauvrir mes idées, je ne puis me faire entendre de cet homme. » Et pourtant milord ne se faisait entendre de Mlle  Lecouvreur qu’à force d’or.

Il est aisé de tromper les savants. Michel-Ange fait une statue que tous les connaisseurs prennent pour une antique. Boulogne fait un tableau qu’on vend pour un Paul Véronèse ; et Mignard, attrapé, lui dit : « Faites donc toujours des Paul, et jamais des Boulogne ! »

La superstition est tout ce qu’on ajoute à la religion naturelle. Les philosophes platoniciens affermirent la religion chrétienne ; les nouveaux philosophes l’ont détruite. Tout auteur d’une religion nouvelle est nécessairement persécuté par l’ancienne ; mais la nouvelle persécute à son tour. La morale est la même d’un bout du monde à l’autre. Confucius, Cicéron, Platon, le chancelier de l’Hospital, Locke, Newton, Gassendi, sont de la même Église. Dieu a fait l’or ; les alchimistes veulent en faire.

Les jacobins ont une bulle qui leur ordonne de célébrer la fête de l’Immaculée Conception, et une bulle qui leur permet de n’y pas croire. Quand ils sont docteurs, ils jurent l’Immaculée ; reçus dominicains, ils l’abjurent.

Chaque nation a son grand homme : on fait sa statue d’or ; on jette au rebut les autres métaux dont l’idole était composée ; on oublie ses défauts. Voilà comme on canonise les saints ; on attend que les témoins de leurs vices soient morts.

L’amour vit de contrastes. La Béjart disait qu’elle ne se consolerait jamais de la perte de ses deux amants : l’un était Gros-René, et l’autre le cardinal de Richelieu[1].

Les protestants ont réformé l’Église romaine en la rendant plus attentive sur elle-même ; mais cette Église, devenant plus décente et plus sévère a anéanti le génie italien. Il n’a plus été permis de penser en Italie. La liberté a enlevé le génie anglais ; l’esclavage a flétri l’esprit italien.

Les idées sont précisément comme la barbe ; elle n’est point au menton d’un enfant : les idées viennent avec l’âge.

Dryden, dans le Spanish Friar, dit : « Il reste à savoir si le mariage est un des sept sacrements, ou un des sept péchés mortels. » C’est l’un et l’autre.

Un protestant avait converti sa première femme ; il ne put convertir la seconde : ses arguments n’étaient plus si forts. Newton faisait souvent ce conte.

  1. Gros-René (Duparc) mourut le 4 novembre 1664 ; le duc de Richelieu était mort le 4 décembre 1642. Cet intervalle de vingt-deux ans rend le propos attribué à la Béjart bien peu vraisemblable.