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SUR LE CID. 207

conduit avec plus de noblesse, de politesse et de prudence, et que jamais on n'a jugé avec plus de goût. Rien nV'tait |)lus noble (|uo de rendre justice aux beautés du Cid, malgré la volonté décidée du maître du royaume ^

La politesse avec laquelle elle reprend les défauts est égale à celle du style, et il y eut une très-grande prudence à se conduire de façon que ni le cardinal de lîicbelieu, ni Corneille, ni même Scudéri, n'eurent au fond sujet de se plaindre.

Je prendrai la liberté de faire quelques notes sur le jugement de l'Académie comme sur la pièce; mais je crois devoir les pré- venir ici par une seule, c'est sur ces paroles de l'Académie : encore quille sujet du Cid ne soit pas bon. Je crois que l'Académie enten- dait que le mariage, ou du moins la promesse de mariage entre le meurtrier et la fille du mort, n'est pas un bon sujet pour une pièce morale, que nos bienséances en sont blessées. Cet aveu de ce corps éclairé satisfaisait à la fois la raison et le cardinal de Ricbelieu, qui croyait le sujet défectueux. Mais l'Académie n'a pas prétendu que le sujet ne fût pas très-intéressant et très- tragique, et quand on songe que ce mariage est un point d'his- toire célèbre, on ne peut que louer Corneille d'avoir réduit ce mariage à une simple promesse d'épouser Chimène : c'est en quoi il me semble que Corneille a observé les bienséances beau- coup plus que ne le pensaient ceux qui n'étaient pas instruits de l'histoire.

La conduite de l'Académie, composée de gens de lettres, est d'autant plus remarquable que le déchaînement de presque tous les auteurs était plus violent; c'est une chose curieuse de voir comme il est traité dans la Lettre sous le nom d'Ariste.

Pauvre esprit qui, voulant paraître admirable à chacun, se rend ridiculi^ à tout le monde, et qui, le plus ingrat des Jiommes, n'a jamais reconnu les obligations qu'il a à Sénèque et à Guillem de Castro, à l'un desquels il est redevable de son Cid , et à l'autre de sa Médée. Il reste maintenant à parler de ses autres pièces qui peuvent passer pour farces, et dont les titres seuls faisaient rire autrefois les plus sages et les plus sérieux; il a fait voir une Mélite^ la Galerie du Palais et la Place Royale: ce qui nous faisait espérer que Mondory annoncerait bientôt le Cimetière de Saint-Jean, la Samaritaine.

1. J\I. Hippolyte Lucas dit que Voltaire a trop loué dans son Commentaire la modération du manifeste de l'Académie contre Corneille. 11 n'a pas remarqué que ]e Commentaire était soumis par l'auteur au jugement de l'Académie elle-même, et qu'il ne pouvait, en conséquence, se prononcer contre les sentiments qu'elle avait exprimés sur le Cid. Tout ce qu'il y avait à faire, c'était de tâcher d'excuser l'Académie, et c'est ce que fit Voltaire. ( G. A.)

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