Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/54

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l’empire de Tibère, fut ignoré des Romains pendant plus de deux siècles. Ils surent confusément qu’il y avait une secte juive appelée galiléenne, ou pauvre, ou chrétienne ; mais c’est tout ce qu’ils en savaient : et on voit que Tacite et Suétone n’en étaient pas véritablement instruits. Tacite parle des Juifs au hasard, et Suétone se contente de dire que l’empereur Claude réprima les Juifs qui excitaient des troubles à Rome, à l’instigation d’un nommé Christ ou Chrest : Judeos impulsore Chresto assidue tumultuantes repressit[1]. Cela n’est pas étonnant. Il y avait huit mille Juifs à Rome qui avaient droit de synagogue, et qui recevaient des empereurs les libéralités congiaires de blé, sans que personne daignât s’informer des dogmes de ce peuple. Les noms de Jacob, d’Abraham, de Noé, d’Adam, et d’Ève, étaient aussi inconnus du sénat que le nom de Manco-Capac l’était de Charles-Quint avant la conquête du Pérou.

Aucun nom de ceux qu’on appelle patriarches n’était jamais parvenu à aucun auteur grec. Cet Adam, qui est aujourd’hui regardé en Europe comme le père du genre humain par les chrétiens et par les musulmans, fut toujours ignoré du genre humain jusqu’au temps de Dioclétien et de Constantin.

C’est douze cent dix ans avant notre ère vulgaire qu’on place la ruine de Troie, en suivant la chronologie des fameux marbres de Paros. Nous plaçons d’ordinaire l’aventure du Juif Jephté en ce temps-là même. Le petit peuple hébreu ne possédait pas encore la ville capitale. Il n’eut la ville de Shéba que quarante ans après, et c’est cette Shéba, voisine du grand désert de l’Arabie Pétrée, qu’on nomma Hershalaïm, et ensuite Jérusalem, pour adoucir la dureté de la prononciation.

Avant que les Juifs eussent cette forteresse, il y avait déjà une multitude de siècles que les grands empires d’Égypte, de Syrie, de Chaldée, de Perse, de Scythie, des Indes, de la Chine, du Japon, étaient établis. Le peuple judaïque ne les connaissait pas, n’avait que des notions très imparfaites de l’Égypte et de la Chaldée. Séparé de l’Égypte, de la Chaldée, et de la Syrie, par un désert inhabitable ; sans aucun commerce réglé avec Tyr ; isolé dans le petit pays de la Palestine, large de quinze lieues et long de quarante-cinq, comme l’affirme saint Hiéronyme ou Jérôme, il ne s’adonnait à aucune science, il ne cultivait presque

  1. Suétone (Claud., xxv) dit: Roma expulit. Voltaire a lui-même cité exactement ce passage dans son Traité de la Tolérance, chapitre viii; voyez tome XXV. page 45.