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154 REMARQUES SUR ŒDIPE.

Jusque-là ne crains pas que je gâte un portrait

Dont je ne pun encor tracer qu'un premier trait;

Je dois être témoin de toutes ces merveilles,

Avant <pie d'en permettre une ébauche à mes veille- :

Et ce flatteur espoir fera tous mes plaisirs,

Jusqu'à ce que l'effet succède à mes désirs.

Bâte-toi cependant de rendre un vol sublime

Au génie amorti que ta bonté ranime,

Kl dont l'impatience attend, pour se borner,

Tout ce que tes faveurs lui voudront ordonner.

��AVIS DE CORNEILLE

M LECTEUR.

J'ai reconnu que ce qui avoit passé pour miraculeux dans ces siècles éloignés pourroit sembler horrible au nôtre, et que cette éloquente et curieuse description de la manière dont ce malheureux prince se crève les yeux, et ce spectacle de ces mêmes yeux crevés, dont le sang lui distille sur le visage, qui occupe tout le cinquième acte chez ces incomparables originaux, feroit soulever la délicatesse de nos dames, qui composent la plus belle partie de notre auditoire, et dont le dégoût attire aisément la censure de ceux qui les accompagnent.

Cette éloquente description réussirait sans doute beaucoup si elle était dans ce style mâle et terrible, et en même temps pur et exact, qui caractérise Sophocle. Je ne sais même si, aujourd'hui que la scène est libre et dégagée de tout ce qui la défigurait, on ne pourrait pas faire paraître Œdipe tout sanglant, comme il parut sur le théâtre d'Athènes. La disposition des lumières, Œdipe ne paraissant que dans l'enfoncement pour ne pas trop offenser les yeux, beaucoup de pathétique dans l'acteur, el peu de décla- mation dans l'auteur; les cris de Jocaste, et les douleurs de tous les Thébains, pourraient former un spectacle admirable. Les ma- gnifiques tableaux dont Sophocle a orné son Œdipe feraient sans doute le même effet que les autres parties du poème firent dans Athènes ; mais, du temps de Corneille, nos jeux de paume étroits dans lesquels on représentait ses pièces, les vêtements ridicules des acteurs, la décoration aussi mal entendue que ces vêtements, excluaient la magnificence d'un spectacle véritable, et rédui-

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