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REMARQUES SUR PULCHÉRIE. 897

C'est surtout en lisant ce rôle de Phèdre qu'on s'écrie avec Despréaux • :

Eh! qui, voyant un jour la douleur vertueuse

De Phèdre, malgré soi perfide, incestueuse,

D'un si noble travail justement étonné,

Ne bénira d'abord le siècle fortuné

Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles,

Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles?

Ces merveilles étaient plus touchantes que pompeuses. Que ceux-là se sont trompés qui ont dit et répété que Racine avait gâté le théâtre par la tendresse, tandis que c'est lui seul qui a épuré ce théâtre 2 , infecté toujours avant lui, et presque toujours après lui, d'amours postiches, froids et ridicules, qui déshonorent les sujets les plus graves de l'antiquité ! Il vaudrait autant se plaindre du quatrième livre de Virgile que de la manière dont Racine a traité l'amour. Si on peut condamner en lui quel- que chose, c'est de n'avoir pas toujours mis dans cette passion toutes les fureurs tragiques dont elle est susceptible, de ne lui avoir pas donné toute sa violence, de s'être quelquefois contenté de l'élégance, de n'avoir que touché le cœur quand il pouvait le déchirer; d'avoir été faible dans presque tous ses derniers actes. Mais tel qu'il est, je le crois le plus parfait de tous nos poètes. Son art est si difficile que, depuis lui, nous n'avons pas vu une seule bonne tragédie. Il y en a eu seulement quelques-unes en très-petit nombre, dans lesquelles les connaisseurs trouvent des beautés; et, avant lui, nous n'en avons eu aucune qui fût bien faite du commencement jusqu'à la fin. L'auteur de ce commen- taire est d'autant plus en droit d'annoncer cette vérité que lui- même, s'étant exercé dans le genre tragique, n'en a connu que les difficultés, et n'est jamais parvenu à faire un seul ouvrage qu'il ne regardât comme très-médiocre.

Non-seulement Racine a presque toujours traité l'amour comme une passion funeste et tragique, dont ceux qui en sont atteints rougissent ; mais Quinault même sentit dans ses opéras que c'est ainsi qu'il faut représenter l'amour.

Armide commence par vouloir perdre Renaud, l'ennemi de sa

secte :

Le vainqueur de Renaud, si quelqu'un le peut être 3 , Sera digne de moi.

4. Épltre VII, à Racine, vers 79-84.

2. Voyez tome XXXI, pages 524 et 528 ; et ci-dessus, page 201.

3. Armide, acte I, scène h.

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