Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/358

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Cela n’est pas commun ; mais cela n’est pas sans vraisemblance dans l’excès d’une fureur dont on n’est pas le maître. Ces crimes révoltent la nature, et cependant ils sont dans la nature. C’est ce qui les rend si convenables à la tragédie, qui ne veut que du vrai, mais un vrai rare et terrible.

Il n’est ni vrai ni vraisemblable qu’Andromède, exposée à un monstre marin, ait été garantie de ce péril par un cavalier volant.

Il semble que les sujets d’Andromède, de Phaéton[1], soient plus faits pour l’opéra que pour la tragédie régulière. L’opéra aime le merveilleux. On est là dans le pays des métamorphoses d’Ovide. La tragédie est le pays de l’histoire, ou du moins de tout ce qui ressemble à l’histoire par la vraisemblance des faits et par la vérité des mœurs.

Quelque heureusement que réussisse cet étalage de moralités, il faut toujours craindre que ce ne soit un de ces ornements ambitieux qu’Horace nous ordonne de retrancher.

Il nous semble qu’on ne peut donner de meilleures leçons de goût, et raisonner avec un jugement plus solide : il est beau de voir l’auteur de Cinna et de Polyeucte creuser ainsi les principes d’un art dont il fut le père en France. Il est vrai qu’il est tombé souvent dans le défaut qu’il condamne ; on pensait que c’était faute de connaître son art, qu’il connaissait pourtant si bien. Il déclare ici qu’il vaut beaucoup mieux mettre les maximes en sentiment que les étaler en préceptes, et il distingue très-finement les situations dans lesquelles un personnage peut débiter un peu de morale, de celles qui exigent un abandonnement entier à la passion… Ce sont les passions qui font l’âme de la tragédie. Par conséquent un héros ne doit point prêcher, et doit peu raisonner. Il faut qu’il sente beaucoup et qu’il agisse.

Pourquoi donc Corneille, dans plus de la moitié de ses pièces, donne-t-il tant aux lieux communs de politique, et presque rien aux grands mouvements des passions ? La raison en est, à notre avis, que c’était là le caractère dominant de son esprit. Dans son Othon, par exemple, tous les personnages raisonnent, et pas un n’est animé.

Peut-être aurait-il dû apporter ici un autre exemple que celui de Mélite. Cette comédie n’est aujourd’hui connue que par son titre, et parce qu’elle fut le premier ouvrage dramatique de Corneille.

  1. Andromède est de Corneille ; Phaéton est de Quinault.