Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/364

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tribue à augmenter l’intérêt[1]. Le spectateur en attend avec plus d’émotion l’acteur qui doit servir au nœud, ou à le redoubler, ou à le dénouer, ne fût-il qu’un subalterne. Rien ne fait mieux voir combien Corneille avait approfondi tous les secrets de son art.

Molière, si admirable par la peinture des mœurs, par les tableaux de la vie humaine, par la bonne plaisanterie, a manqué à cette règle de Corneille. Dans la plupart de ses dénoûments, les personnages ne sont pas assez annoncés, assez préparés.

Quand je n’aurois point parlé de Livie dans [le premier acte de] Cinna, j’aurois pu la faire entrer au quatrième.

Il eût été mieux de ne point du tout faire paraître Livie. Elle ne sert qu’à dérober à Auguste le mérite et la gloire d’une belle action. Corneille n’introduisit Livie que pour se conformer à l’histoire, ou plutôt à ce qui passait pour l’histoire : car cette aventure ne fut d’abord écrite que dans une déclamation de Sénèque sur la clémence. Il n’était pas dans la vraisemblance qu’Auguste eût donné le consulat à un homme très-peu considérable dans la république, pour avoir voulu l’assassiner.

La conspiration de Cinna et la consultation d’Auguste, avec lui et Maxime, n’ont aucune liaison entre elles… bien que le résultat de l’une produise de beaux effets pour l’autre.

C’est un grand coup de l’art, en effet ; c’est une des beautés les plus théâtrales, qu’au moment où Cinna vient de rendre compte à Émilie de la conspiration, lorsqu’il a inspiré tant d’horreur contre les cruautés d’Auguste, lorsqu’on ne désire que la mort de ce triumvir, lorsque chaque spectateur semble devenir lui-même un des conjurés, tout à coup Auguste mande Cinna et Maxime les chefs de la conspiration. On craint que tout ne soit découvert, on tremble pour eux. Et c’est là cette terreur qui produit, dans la tragédie, un effet si admirable et si nécessaire.

Euripide a usé assez grossièrement [du prologue].

Toutes les tragédies d’Euripide commencent, ou par un acteur principal qui dit son nom au public, et qui lui apprend le sujet de la pièce, ou par une divinité qui descend du ciel pour jouer ce rôle, comme Vénus dans Phèdre et Hippolyte.

Iphigénie elle-même, dans la pièce d’Iphigénie en Tauride, explique d’abord le sujet du drame, et remonte jusqu’à Tantale dont elle fait l’histoire. Corneille a bien raison de dire que cet

  1. Voyez les remarques sur Héraclius, II, i, et sur Don Sanche d’Aragon, I, i.