Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/369

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L’exclusion des personnes tout à fait vertueuses qui tombent dans le malheur bannit les martyrs de notre théâtre.

Un martyr, qui ne serait que martyr, serait très-vénérable, et figurerait très-bien dans la Vie des Saints, mais assez mal au théâtre. Sans Sévère et Pauline, Polyeucte n’aurait point eu de succès.

S’il est bien amoureux… il peut s’emporter de colère et tuer dans un premier mouvement ; et l’ambition le peut engager dans un crime.

On s’intéresse pour un jeune criminel que la passion emporte, et qui avoue ses fautes, témoin Venceslas et Rhadamiste.

La perfection de la tragédie consiste… à exciter de la pitié et de la crainte, par le moyen d’un premier acteur, comme peut faire Rodrigue dans le Cid, et Placide dans Théodore.

Il est triste de mettre Placide à côté du Cid.

On désapprouve sa manière d’agir [de Félix] ; mais cette aversion… n’empêche pas que sa conversion miraculeuse, à la fin de la pièce, ne le réconcilie pleinement avec l’auditoire.

La conversion miraculeuse de Félix le réconcilie sans doute avec le ciel, mais point du tout avec le parterre.

Qu’un indifférent [dit Aristote] tue un indifférent, cela ne touche guère… d’autant qu’il n’excite aucun combat dans l’âme de celui qui fait l’action.

Aristote montre ici un jugement bien sain, et une grande connaissance du cœur de l’homme. Presque toute tragédie est froide sans les combats des passions.

Disons donc qu’elle [cette condamnation] ne doit s’entendre que de ceux qui connoissent la personne qu’ils veulent perdre, et s’en dédisent par un simple changement de volonté, sans aucun événement notable qui les y oblige.

Il nous semble qu’on ne peut mieux expliquer ce qu’Aristote a dû entendre. Si un homme commence une action funeste et ne l’achève pas sans avoir un motif supérieur et tragique qui le force, il n’est alors qu’inconstant et pusillanime ; il n’inspire que le mépris. Il faut, ou que la nature ou la gloire l’arrête, et un tel dénoûment peut faire un très-bel effet ; ou bien le crime commencé par lui est puni avant d’être achevé, et le spectateur est encore plus content.