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V72 REMARQUES

Il y a une grande différence cuire le débit et le succès. Les jésuites, qui avaient un très-grand crédit, liront lire le livre à leurs dévotes, et dans les couvents; ils le prônaient, on l'achetait, et on s'ennuyait. Aujourd'hui ce livre est inconnu. L'Imitation de Jésus n'est pas plus faite pour être mise en vers qu'une Épître de saint Paul.

Corneille dédaigna fièrement d'avoir de la complaisance pour ce nouveau goût.

Au contraire, il n'a fait aucune pièce sans amour.

Bérénice fui un duel dont tout le monde sait l'histoire. Une princesse fort touchée des choses d'esprit... eut besoin de beaucoup d'adresse pour faire trouver les deux combattants sur le champ de bataille.

La princesse Henriette 1 , helle-sceur de Louis XIV, ne proposa pas seulement ce sujet parce qu'elle était touchée des choses d'esprit, mais parce que ce sujet était, à plusieurs égards, sa propre aventure.

La victoire ne demeura pas à Racine seulement parce qu'il était le plus jeune, mais parce que sa pièce est incomparable- ment meilleure que celle de Corneille, qui tomba, et qu'on ne peut lire. Racine tira de ce mauvais sujet tout ce qu'on en pou- vait tirer. Son goût épuré, son esprit flexible, sa diction toujours élégante, son style toujours châtié et toujours charmant, étaient propres à toutes les matières, et Corneille ne pouvait guère traiter heureusement que des sujets conformes au caractère de son génie.

Il a eu souvent besoin d'être rassuré par des casuistes sur ses pièces de théâtre, et ils lui ont toujours fait grâce en faveur de la pureté qu'il avoit établie sur la scène, etc.

Ces casuistes avaient bien raison. L'art du théâtre est comme celui delà peinture. Un peintre peut également faire des ouvrages lascifs et des tableaux de dévotion. Tout auteur peut être dans ce cas. Ce n'est donc point le théâtre qui est condamnable, mais l'abus du théâtre. Or les pièces étant approuvées par les magis- trats et ayant la sanction de l'autorité royale, le seul abus est de les condamner. Cette ancienne méprise a subsisté, parce que les comédies des mimes étaient obscènes du temps des premiers chrétiens, et que les autres spectacles étaient consacrés, chez les Romains et chez les Grecs, par les cérémonies de leur religion.

t. Henriette-Anne d'Angleterre. (Note de Voltaire.)

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