Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
CORRESPONDANCE.

que vous avez pour mon petit Henri. Cependant l’amour que j’ai pour lui ne m’aveugle pas au point de prétendre qu’il vienne à Paris dans un char traîné par six chevaux ; un ou deux bidets, avec des bâts et des paniers, suffisent pour mon fils. Mais apparemment que votre fourgon vous apporte des meubles, et que Henri sera confondu dans votre équipage. En ce cas, je consens qu’il profite de cette voiture ; mais je ne veux point du tout qu’on fasse ces frais uniquement pour ce marmouset. Je vous recommande instamment de le faire partir avec plus de modestie et moins de dépense ; Martel est surtout inutile pour conduire ce petit garçon. Je vous ai déjà mandé que vous eussiez la bonté d’empêcher qu’on ne lui fît ses deux mille habits[1] : ainsi il sera prêt à partir avec vous, et il pourra vous suivre dans votre marche avec deux chevaux de bât, qui marcheront derrière votre carrosse, et qui vous quitteront à Boulogne, où il faudra que mon bâtard s’arrête.

Le jour de votre départ s’avance, et je crois que vous ne le reculerez pas. Je n’aurai jamais en ma vie de si bonnes étrennes que celles que me prépare votre arrivée pour le jour de l’an.



104. — À M. DE CIDEVILLE.

28 décembre.

Déjà de la Parque ennemie
J’avais bravé les rudes coups ;

Mais je sens aujourd’hui tout le prix de la vie,

Par l’espoir de vivre avec vous.

Les vers que vous dicta l’amitié tendre et pure,
Embellis par l’esprit, ornés par la nature,
Ont rallumé dans moi des feux déjà glacés.


Mon génie excité m’invite à vous répondre ;
Mais dans un tel combat que je me sens confondre !
En louant mes talents, que vous les surpassez !
Je ressens du dépit les atteintes secrètes.
Vos éloges touchants, vos vers coulants et doux,
S’ils ne me rendaient pas le plus vain des poëtes,

M’auraient rendu le plus jaloux.

Voilà tout ce que la fièvre et les suites misérables de la petite vérole peuvent me permettre. Le triste état où je suis encore m’empêche de vous écrire plus au long ; mais comptez, mon

  1. C’est-à-dire qu’on ne fit pas brocher ou relier les deux mille exemplaires de la Ligue (Henriade) imprimés par Viret. (Cl.)