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CORRESPONDANCE.

pauvre Voltaire. Un sot se contenterait de tout cela ; mais malheureusement j’ai pensé assez solidement pour sentir que des louanges sont peu de chose, et que le rôle d’un poëte à la cour traîne toujours avec lui un peu de ridicule, et qu’il n’est pas permis d’être en ce pays-ci sans aucun établissement. On me donne tous les jours des espérances dont je ne me repais guère. Vous ne sauriez croire, mon cher Thieriot, combien je suis las de ma vie de courtisan. Henri IV est bien sottement sacrifié à la cour de Louis XV. Je pleure les moments que je lui dérobe. Le pauvre enfant devrait déjà paraître in-4o  en beau papier, belle marge, beau caractère. Ce sera sûrement pour cet hiver, quelque chose qui arrive. Vous trouverez, je crois, cet ouvrage un peu autrement travaillé que Mariamne. L’épique est mon fait, ou je suis bien trompé, et il me semble qu’on marche bien plus à son aise dans une carrière où on a pour rival un Chapelain, Lamotte, et Saint-Didier, que dans celle où il faut tâcher d’égaler Racine et Corneille. Je crois que tous les poètes du monde se sont donné rendez-vous à Fontainebleau. Saint-Didier a apporté son Clovis[1] à la reine, avec une épître en vers du même style. Roi vient se proposer pour des ballets. La reine est tous les jours assassinée d’odes pindariques, de sonnets, d’épîtres, et d’épithalames. Je m’imagine qu’elle a pris les poètes pour les fous de la cour, et, en ce cas, elle a grande raison, car c’est une grande folie à un homme de lettres d’être ici. Ils ne donnent du plaisir ni n’en reçoivent. Adieu. Savez-vous que M. le duc de Nevers[2] s’est battu avec M. le comte de Brancas, dans la salle des gardes de la reine d’Espagne ? Voilà les seules nouvelles que je sache. Tout ce qui se passe ici est si simple, si uni, si ennuyeux, qu’il n’y a pas moyen d’en parler. Adieu ; je vous embrasse, et vous aime.



155. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Fontainebleau, ce 18 octobre.

Gervasi va partir pour vous aller voir : j’en voudrais bien faire autant ; mais jamais mon goût n’a décidé de ma conduite. Je me flatte qu’il vous trouvera en bonne santé, et que ce sera un voyage d’ami plutôt que de médecin. Il vous dira toutes les petites nouvelles de la cour, dont je ne vous parle point. Ne m’en sachez

  1. 1725, in-8o , contenant huit chants : le reste n’a pas paru.
  2. Philippe-Jules-François Mazarini-Mancini, mort en 1768 ; père du duc de Nivernais. Son adversaire, Louis-Toussaint baron de Villeneuve, comte de Brancas, était capitaine des gardes de Louise-Elisabeth, reine d’Espagne. (Cl.)