Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/292

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délassait à voir des procès[1]. Je crois avoir trouvé le secret de répandre un véritable intérêt sur un sujet qui semblait n’être fait que pour étonner. J’en retranche absolument le grand-prêtre. Je donne plus au tragique et moins à l’épique, et je substitue, autant que je peux, le vrai au merveilleux. Je conserve pourtant toujours mon ombre, qui n’en fera que plus d’effet lorsqu’elle parlera à des gens pour lesquels on s’intéressera davantage. Voilà, en général, quel est mon plan. Je me sais bon gré d’en avoir arrêté l’impression, et de m’être retenu sur le bord du précipice dans lequel j’allais tomber comme un sot.

Adieu, je vous aime bien tendrement, mon cher ami ; il faudra que vous reveniez ici, ou que je retourne à Rouen, car je ne peux plus me passer de vous voir.


269. — Á M. DE CIDEVILLE.
27 juin 1732.

Un homme qui vient d’achever une tragédie nouvelle n’a pas le temps d’écrire de longues lettres, mon aimable Cideville ; mais chaque scène de la pièce était une lettre que je vous écrivais, et je me disais toujours : Mon tendre et sensible ami approuvera-t-il cette situation ou ce sentiment ? Lui ferai-je verser des larmes ? Enfin, après avoir écrit rapidement mon ouvrage, afin de vous l’envoyer plus tôt, je l’ai lu aux comédiens. J’ai mené avec moi le jeune Linant, qui, je crois, vous en a rendu compte. Je serais bien aise de savoir ce qu’en pense un cœur aussi neuf et un esprit aussi juste que le sien. J’ai fait d’ailleurs ce que j’ai pu pour lui rendre service. Je ne sais si je serai assez heureux pour le placer, mais il est sûr que je l’envierai à quiconque le possédera. Mme de Fontaine-Martel a été assez abandonnée de Dieu pour n’en vouloir pas. Si j’avais une maison à moi, il en serait bientôt le maître. Il me paraît digne de toute la fortune qu’il n’a pas. Mais si les mœurs aimables, l’esprit, et les talents, peuvent conduire à la fortune, il faudra bien qu’il en fasse une. Il vous aime de tout son cœur ; nous parlons de vous quand nous nous rencontrons. Nous souhaitons de passer notre vie avec vous à Paris. Que dites-vous de nos conseillers de la cohue des enquêtes[2], qui ont fait vœu de n’aller ni aux spectacles ni aux Tuileries, jusqu’à ce que le roi leur rende les appels comme d’abus ? Qu’a donc de commun

  1. Racine, les Plaideurs, acte III, scène iv.
  2. Expression du cardinal de Retz.