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271. Á M. DE CIDEVILLE.
Á Paris, le 10 juillet 1732.

Oui, je vais, mon cher Cideville,
Vous envoyer incessamment
La pièce où j’unis hardiment
Et l’Alcoran et l’Évangile,
Et justaucorps et doliman.
Et la babouche et le bas blanc,
Et le plumet et le turban,

    J’ai vu mistriss Sallé aussi souvent que je l’ai pu : ello est maintenant un peu indisposée. La mort de son frère a blessé son cœur au vif. Les sentiments de l’amitié et de la nature balançaient en elle ceux de l’amour. Son cœur est fait pour la tendresse, mais il semble que tous ses sentiments se partageaient entre son frère et vous. Maintenant que votre rival est mort, je pense que vous régnerez seul dans le cœur de mistriss Sallé. Le parterre, les loges, les dames, les petits-maitres, et jusqu’à Mlle Prévost, étaient en extase la dernière fois qu’elle dansa dans le nouvel opéra. Quant à moi j’en fus étonné, et, à mon jugement, sa danse d’Amadis ne fut jamais si surprenante et si admirable.


    Quels vers pourrais-je maintenant composer pour elle qui pussent égaler ses talents ? M. Bernard a essayé de lui faire un madrigal, mais il est loin d’avoir atteint son but. Je suis dans le même cas : je sens qu’il faudrait dans une inscription une exactitude, une manière abrégée de peindre, un éclair de sentiment, quelque chose de serré ou concis, si clair et si plein que je désespère d’y parvenir. Je n’ai rien trouvé que ceci…

    Il me semble que ces quatre vers sont au moins un tableau vrai, sinon animé, de son talent particulier pour la danse, et de son propre caractère. Ils répondent aussi à l’intention du peintre, qui la représente dansante devant le temple de Diane.

    Avant de cesser de vous parler de vers, il faut que je vous dise que j’ai remis aujourd’hui à votre frère deux brouillons de rimes, l’un pour Mme de Fontaine-Martel, et l’autre pourMlle de Lubert, que j’ai qualifiée Muse et Grâce.

    Je n’ai point encore vu la nouvelle édition de mes œuvres. On m’en a envoyé vingt-quatre exemplaires par la voie de Rouen ; mais avant qu’ils ne me parviennent, j’aurai le temps de recevoir quelques lettres de vous ; ayez donc la bonté de m’instruire du succès qu’a eu cette édition en Angleterre et en Hollande.

    Vous m’aviez promis de m’envoyer les remarques de La Motraye ; je vous prie de vouloir bien y joindre le petit pamphlet qui vient de paraître sur la personne et les ouvrages du docteur Clarke ; j’espère vous envoyer sous peu de mois mes Lettres anglaises. J’ai absolument besoin du petit pamphlet du docteur Clarke, pour donner le dernier coup de pinceau à son caractère, pourvu toutefois que ce pamphlet contienne quelques vérités bonnes à savoir.

    Il faut maintenant me dire avec sincérité combien de temps vous comptez rester en Angleterre, quel genre de vie vous avez choisi, et si vous avez ou non l’intention de faire quelque chose ? Restez-vous réellement pour Mlle Sallé ? Viendra-t-elle vous trouver ? Pendant tout ceci Mme de Fontaine-Martel fait ses efforts pour se procurer du plaisir au meilleur marché possible. M. de Rezé est à Paris, et soupe ici presque tous les jours ; je souhaiterais que vous pussiez faire de même. Votre ami pour toujours.

    *. Zaïre