Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/306

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porte secrète qui conduisait vers la mosquée, et lui recommandait d’être fidèle.

La lettre tomba entre les mains d’un garde, qui la porta à Orosmane. Le Soudan en crut à peine à ses yeux. Il se vit trahi ; il ne douta pas de son malheur et du crime de Zaïre. Avoir comblé un étranger, un captif, de bienfaits ; avoir donné son cœur, sa couronne à une fille esclave, lui avoir tout sacrifié ; ne vivre que pour elle, et en être trahi pour ce captif même ; être trompé par les apparences du plus tendre amour ; éprouver en un moment ce que l’amour a de plus violent, ce que l’ingratitude a de plus noir, ce que la perfidie a de plus traître ; c’était sans doute un état horrible ; mais Orosmane aimait, et il souhaitait de trouver Zaïre innocente. Il lui fait rendre ce billet par un esclave inconnu. Il se flatte que Zaïre pouvait ne point écouter Nérestan ; Nérestan seul lui paraissait coupable. Il ordonne qu’on l’arrête et qu’on l’enchaîne, et il va, à l’heure et à la place du rendez-vous, attendre l’effet de la lettre.

La lettre est rendue à Zaïre, elle la lit en tremblant ; et après avoir longtemps hésité, elle dit enfin à l’esclave qu’elle attendra Nérestan, et donne ordre qu’on l’introduise. L’esclave rend compte de tout à Orosmane.

Le malheureux Soudan tombe dans l’excès d’une douleur mêlée de fureur et de larmes. Il tire son poignard, et il pleure. Zaïre vient au rendez-vous dans l’obscurité de la nuit. Orosmane entend sa voix, et son poignard lui échappe. Elle approche, elle appelle Nérestan, et à ce nom Orosmane la poignarde.

Dans l’instant on lui amène Nérestan enchaîné, avec Fatime, complice de Zaïre. Orosmane, hors de lui, s’adresse à Nérestan[1], en le nommant son rival. « C’est toi qui m’arraches Zaïre, dit-il ; regarde-la avant que de mourir ; que ton supplice commence avec le sien ; regarde-la, te dis-je. » Nérestan approche de ce corps expirant : « Ah ! que vois-je, ah ! ma sœur ? Barbare, qu’as-tu fait ? … » Á ce mot de sœur, Orosmane est comme un homme qui revient d’un songe funeste : il connaît son erreur ; il voit ce qu’il a perdu ; il s’est trop abîmé dans l’horreur de son état pour se plaindre. Nérestan et Fatime lui parlent ; mais, de tout ce qu’ils disent, il n’entend autre chose sinon qu’il était aimé. Il prononce le nom de Zaïre, il court à elle ; on l’arrête, il retombe dans l’engourdissement de son désespoir. « Qu’ordonnes-tu de moi ? » lui dit Nérestan. Le soudan, après un long silence, fait ôter les fers a

  1. Acte V, scène x.