Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/309

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et aussi aimable que vous soit malheureux ? Que serai-je donc, moi qui ai passé toute ma vie à faire des folies ? Quand j’ai été malheureux, je n’ai eu que ce que je méritais ; mais quand vous l’êtes, c’est une balourdise de la Providence. J’ai eu la sottise de perdre douze mille francs, au biribi, chez Mme de Fontaine-Martel ; je parie que vous n’en avez pas tant fait. Je voudrais bien que vous eussiez été à portée de les perdre ; j’en donnerais le double pour vous voir à Paris.

Ah ! quittez pour la liberté
Sacs, bonnet, épice, et soutane,
Et le palais de la chicane
Pour celui de la volupté.

M. de Formont m’a écrit une lettre charmante. Je ne lui ai pas encore fait de réponse ; je ne sais où le prendre. Je vous en prie, mon cher ami, quand vous verrez Jore, dites-lui qu’il m’envoie dans un paquet, par le coche, quatre Henriade en grand, et quatre en petit, de l’édition de Hollande. Je les recevrai comme j’ai reçu Ériphyle et Zaïre, sans aucune difficulté.

Adieu ; je vous embrasse bien tendrement. V.


282. — Á M. DE FORMONT.
Le .. septembre.

Je viens d’apprendre, par notre cher Cideville, qui part de Rouen, que vous y revenez. Je ne savais où vous prendre pour vous remercier, mon cher ami, mon juge éclairé, de la lettre obligeante que vous m’avez écrite de Gaillon. Je suis bien fâché que vous n’ayez vu que la première représentation de Zaïre. Les acteurs jouaient mal, le parterre était tumultueux, et j’avais laissé dans la pièce quelques endroits négligés qui furent relevés avec un tel acharnement que tout l’intérêt était détruit. Petit à petit j’ai ôté ces défauts, et le public s’est raccoutumé à moi. Zaïre ne s’éloigne pas du succès d’Inès de Castro ; mais cela même me fait trembler. J’ai bien peur de devoir aux grands yeux noirs de Mlle Gaussin, au jeu des acteurs, et au mélange nouveau des plumets et des turbans, ce qu’un autre croirait devoir à son mérite. Je vais retravailler la pièce comme si elle était tombée. Je sais que le public, qui est quelquefois indulgent au théâtre, par caprice, est sévère à la lecture, par raison. Il ne demande pas mieux qu’à se dédire, et à siffler ce qu’il a applaudi. Il faut le forcer à être content. Que de travaux et de peines pour cette fumée