Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/359

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guérit jamais. Je plains le pauvre auteur ; il va faire imprimer sa pièce ; et le voilà ruiné, s’il pouvait l’être. Il n’aura de ressource qu’à faire imprimer quelque petite brochure contre moi, ou à vendre les vers des autres. Vous savez qu’il a vendu à Jore, pour quinze cents livres, le manuscrit de l’abbé de Chaulieu, qui vous appartenait ; sans cela le pauvre diable était à l’aumône, car il avait imprimé deux ou trois de ses ouvrages à ses dépens. Il est heureux que l’abbé de Chaulieu ait été, il y a vingt ou trente ans, un homme aimable.

Ce qui me serait cent fois plus important, et ce qui ferait le bonheur de ma vie, ce serait votre retour, dussiez-vous ne vivre à Paris que pour Mlle Sallé.

Adieu ; je vous embrasse tendrement.

Je viens de recevoir et de lire le poëme de Pope sur les Richesses. Il m’a paru plein de choses admirables. Je l’ai prêté à l’abbé du Resnel[1], qui le traduirait s’il n’était pas actuellement aussi amoureux de la fortune qu’il l’était autrefois de la poésie.

Envoyez-moi, je vous en prie, les vers de milady Mary Montagne, et tout ce qui se fera de nouveau. Vous devriez m’écrire plus régulièrement.


332. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce 15 mai.

Mon cher ami, je suis enfin vis-à-vis ce beau portail, dans le plus vilain quartier de Paris, dans la plus vilaine maison, plus étourdi du bruit des cloches qu’un sacristain ; mais je ferai tant de bruit avec ma lyre que le bruit des cloches ne sera plus rien pour moi. Je suis malade ; je me mets en ménage ; je souffre comme un damné. Je brocante, j’achète des magots[2] et des Titien, je fais mon opéra, je fais transcrire Èriphyle et Adélaïde ; je les corrige, j’efface, j’ajoute, je barbouille, la tête me tourne. Il faut que je vienne goûter avec vous les plaisirs que donnent les belles-lettres, la tranquillité, et l’amitié. Formont est allé porter sa philosophique paresse chez Mme Moras. Il y a mille ans que je ne l’ai vu ; il me consolait, car il me parlait de vous. Adieu ; je souffre trop pour écrire.

  1. Voyez la note sur la lettre 267.
  2. C’est-à-dire des tableaux de l’école flamande. On connaît ce mot de Louis XIV, au sujet des tableaux de Téniers : « Otez-moi ces magots. » (Cl.)