Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je vous soupçonne de philosopher, à Canteleu, avec mon cher, aimable et tendre Cideville. Vous savez combien j’ai toujours souhaité d’apporter mes folies dans le séjour de votre sagesse.

Atque utinam ex vobis unus, vestrique fuissem
Aut custos gregis, aut maturæ vinitor uvæ !
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Hic gelidi fontes, hic mollia prata, Lycori ;
Hic nemus : hic ipso tecum consumerer ævo.

(Virg., egl. x, v. 35.)

Mais je suis entre Adélaïde du Guesclin, le seigneur Osiris[1], et Newton. Je viens de relire ces Lettres anglaises, moitié frivoles, moitié scientifiques. En vérité, ce qu’il y a de plus passable dans ce petit ouvrage est ce qui regarde la philosophie ; et c’est, je crois, ce qui sera le moins lu. On a beau dire, le siècle est philosophe : on n’a pourtant pas vendu deux cents exemplaires du petit livre[2] de M. de Maupertuis, où il est question de l’attraction ; et, si on montre si peu d’empressement pour un ouvrage écrit de main de maître, qu’arrivera-t-il aux faibles essais d’un écolier comme moi ? Heureusement j’ai tâché d’égayer la sécheresse de ces matières, et de les assaisonner au goût de la nation. Me conseilleriez-vous d’y ajouter quelques petites réflexions détachées sur les Pensées de Pascal ? Il y a déjà longtemps que j’ai envie de combattre ce géant. Il n’y a guerrier si bien armé qu’on ne puisse percer au défaut de la cuirasse ; et je vous avoue que si, malgré ma faiblesse, je pouvais porter quelques coups à ce vainqueur de tant d’esprits, et secouer le joug dont il les a affublés, j’oserais presque dire avec Lucrèce :

Quare superstitio pedibus subjecta vicissim
Obteritur, nos exæquat Victoria cœlo.

(Liv. I, v. 19.)

Au reste, je m’y prendrai avec précaution, et je ne critiquerai que les endroits qui ne seront point tellement liés avec notre sainte religion, qu’on ne puisse déchirer la peau de Pascal sans faire saigner le christianisme. Adieu, Mandez-moi ce que vous pensez des Lettres imprimées, et du projet sur Pascal. En attendant je retourne à Osiris. J’oubliais de vous dire que le paresseux Linant échafaude son Sabinus.

  1. C’est-à-dire Tanis et Zélide, opéra où figurent Osiris et Isis.
  2. Voyez la note de la page 299.