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bien m’écrire quelquefois. Vous m’avez fait aimer votre personne et vos lettres. Faites-moi ici votre correspondant.

Je suis, etc.

Voltaire.

363. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce 15 septembre.

Eh bien ! mon cher ami, vous n’avez encore ni opéra, ni Adélaïde, ni petites pièces fugitives ; et vous ne m’avez point envoyé votre Allégorie, et Linant m’a quitté sans avoir achevé une scène de sa tragédie.

vanas hominum mentes ! o pectora cæca[1] !

Jore devrait être déjà parti avec un ballot de vers, de ma part ; mais le pauvre diable est actuellement caché dans un galetas, espérant peu en Dieu, et craignant fort les exempts. Un nommé Vanneroux, la terreur des jansénistes, et aussi renommé que Desgrets, est parti pour aller fureter dans Rouen, et pour voir si Jore n’aurait point imprimé certaines Lettres anglaises que l’on croit ici un ouvrage du malin, Jore jure qu’il est innocent, qu’il ne sait ce que c’est que tout cela, et qu’on ne trouvera rien. Je ne sais pas si je le verrai avant le départ clandestin qu’il médite pour revenir voir sa très-chère patrie. Je vous prie, quand vous le reverrez, de lui recommander extrêmement la crainte du garde des sceaux et de Vanneroux. S’il fait paraître un seul exemplaire de cet ouvrage, assurément il sera perdu, lui et toute sa famille. Qu’il ne se hâte point ; le temps amène tout. Il est convaincu de ce qu’il doit faire ; mais ce n’est pas assez d’avoir la foi, si vous ne le confirmez dans la pratique des bonnes œuvres.

J’ai vu enfin la présidente de Bernières. Est-il possible que nous ayons dit adieu, pour toujours, à la Rivière-Bourdet ? Qu’il serait doux de nous y revoir ! Ne pourrions-nous point mettre le président dans un couvent, et venir manger ses canetons[2] chez lui ?

Je reste constamment dans mon ermitage, vis-à-vis Saint-Gervais, où je mène une vie philosophique, troublée quelquefois

  1. Lucrèce, II, 14.
  2. Les meilleurs canetons, dits de Rouen, viennent de Duclair, canton auquel appartient la Rivière-Bourdet, (Cl.)