Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/428

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Je commence enfin à sortir. J’allai même, samedi dernier[1], à l’enterrement d’Adélaïde, dont le convoi fut assez honorable. J’avais esquivé le mien, et je suis fort content du parterre, qui reçut Adélaïde mourante, et Voltaire ressuscité, avec assez de cordialité. Il est vrai que je suis retombé depuis ; mais, malgré cette rechute, je veux aller au plus vite chez M. du Bourg-Theroulde pour lui parler de vous. En attendant, disons un petit mot d′Adèlaide.

On ne se plaint point du duc de Nemours ; on s’est récrié contre le duc de Vendôme. La voix publique m’a accusé d’abord d’avoir mis sur le théâtre un prince du sang pour en faire, de gaieté de cœur, un assassin. Le parterre est revenu tout d’un coup de cette idée ; mais nos-seigneurs les courtisans, qui sont trop grands seigneurs pour se dédire si vite, persistent encore dans leur reproche. Pour moi, s’il m’est permis de me mettre au nombre de mes critiques, je ne crois pas que l’on soit moins intéressé à une tragédie parce qu’un prince de la nation se laisse emporter à l’excès d’une passion effrénée.

Un historiographe me dira bien que le comte de Vendôme, n’était point duc, et que c’était le duc de Bretagne Jean, et non le comte de Vendôme, qui fit cette méchante action. Le public se moque de tout cela ; et, si la pièce est intéressante, peu lui importe que son plaisir vienne de Jean ou de Vendôme.

Mais ce Vendôme n’intéresse peut-être pas assez, parce qu’il n’est point aimé, et parce qu’on ne pardonne point à un héros français d’être furieux contre une honnête femme qui lui dit de si bonnes raisons. Coucy vient encore prouver à notre homme qu’il est un pauvre homme d’être si amoureux. Tout cela fait qu’on ne prend pas un intérêt bien tendre au succès de cet amour. Ajoutez que le sieur Dufresne a joué ce rôle indignement, quoi qu’en dise Rochemore[2].

Le travail que j’ai fait pour corriger ce qui avait paru révoltant dans ce Vendôme, à la première représentation, est très-peu de chose. Je vous enverrai la pièce ; vous la trouverez presque

  1. En 1734, le 27 février étant un samedi, le samedi dernier désigne le 20 ; mais, d’après la lettre qui précède, la dernière représentation aurait eu lieu le 18. (B.)
  2. Jean-Baptiste-Louis Hercule de Rochemore, né en octobre 1693, mort vers la fin de mars 1743, selon le Moréri de 1759 ; connu par quelques poésies qu’il composa pour Mlle Journet, actrice de l’Opéra. La Biographie universelle, qui donne au marquis de Rochemore le prénom de Timoléon, au lieu de celui d’Hercule, prétend qu’il naquit en 1695, et mourut dès 1740. Voyez (tome X) l’épître adressée, en son nom, au maréchal de Saxe, par Voltaire. (Cl.)