Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/434

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coûté 1,500 francs[1] pour espérer, pendant quelques mois, qu’il ne paraîtrait point. Mais enfin j’ai perdu mon argent, mes peines et mes espérances. Non-seulement on m’a trahi, et l’on débite l’ouvrage ; mais, grâce à la bonté qu’on a toujours de juger favorablement son prochain, j’apprends qu’on me soupçonne de faire vendre moi-même l’ouvrage. Je me flatte que vous me défendrez avec vos amis, ou, plutôt, que ceux qui ont l’honneur d’être vos amis ne m’imputeront point de telles bassesses.

Mais vous, mon cher abbé, mandez-moi ce que c’était que l’affaire qu’on voulait vous susciter, au sujet des rêveries[2] de ce fou de P. Hardouin. Faudra-t-il que les gens de lettres, en France, soient toujours traités comme les mathématiciens l’étaient du temps de Domitien ! Écrivez-moi, je vous en prie, au plus vite à Monjeu. J’y étais paisiblement occupé à marier M. le duc de Richelieu à Mlle  de Guise. L’aventure de ces Lettres a rabattu ma joie, et votre souvenir me la rendra.


401. — Á M. DE MAUPERTUIS.
À Monjeu, par Autun, 29 avril.

Votre géomètre[3], monsieur, vient de me montrer votre lettre. Je vous plains de son absence ; mais je suis beaucoup plus à plaindre que vous, s’il faut que j’aille à Londres ou à Bâle[4], tandis que vous serez à Paris avec Mme  du Châtelet.

Ce sont donc ces Lettres anglaises qui vont m’exiler ! En vérité, je crois qu’on sera un jour bien honteux de m’avoir persécuté pour un ouvrage que vous avez corrigé. Je commence à soupçonner que ce sont les partisans des tourbillons et des idées innées qui me suscitent la persécution. Cartésiens, malebranchistes, jansénistes, tout se déchaîne contre moi ; mais j’espère en votre appui : il faut, s’il vous plaît, que vous deveniez chef de secte. Vous êtes l’apôtre de Locke et de Newton ; et un apôtre de votre trempe, avec une disciple comme Mme  du Châtelet, rendrait la vue aux aveugles. Je crains encore plus monsieur le

  1. Voltaire avait prêté cette somme à Jore. (Cl.)
  2. La publication, par d’Olivet, du volume intitulé Johannis Harduini Opéra varia, Amsterdam et la Haye, 1733, in-folio, avait fait naître quelques clameurs. C’est dans ce volume que sont les Athei detecti, dont Voltaire a parlé ailleurs ; voyez tome XVII, page 472.
  3. Mme  du Chàtelet, à qui M. de Maupertuis avait donné quelques leçons de géométrie. (K.)
  4. Il alla à Bâle au mois de mai, mais n’y passa que quelques jours. (B.)