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413. – Á M. HERAULT,
lieutenant général de police[1]

Je vois avec surprise et avec douleur, monsieur, que les clabauderies de mes indignes ennemis en imposent à un homme aussi éclairé que vous. Devez-vous écouter les, prières et les sottes clameurs des superstitieux imbéciles que le poison du jansénisme infecte, et qui prétendent qu’on attaque Dieu et l’État quand on se moque des convulsions des quakers ? Ce n’est point au magistrat de la police, c’est à l’homme d’esprit et à l’homme instruit de tout que j’ose écrire. N’écoutez point, monsieur, la sotte multitude de ceux qui sont sicut equus et mulus, quibus non est intelectus ; elle, murmure huit jours sans savoir pourquoi, et demeure ensuite dans un éternel silence sur les choses qui passent sa portée. Daignez consulter sur mon livre un M. de Maupertuis, un M. de Mairan, un M. Boindin, un M. de La Condamine. Voilà des gens qui pensent, et dont le sentiment devient tôt ou tard celui du public, parce qu’à la longue le vulgaire est toujours et en tout mené par un petit nombre d’esprits supérieurs, et cela en littérature comme en politique.

Mon livre est traduit en anglais et en allemand, et a plus d’approbateurs en Europe que d’indignes critiques en France.

Je n’ai, encore une fois, nulle part à l’édition ; daignez vous servir de toute votre autorité avec Jore, avec Bauche, avec la Pissot, avec quiconque est soupçonné.

Pour moi, monsieur, je vous demande instamment ou de parler encore une fois de mon innocence à M. le cardinal de Fleury, ou d’avoir la bonté de me mander, ou de me faire écrire par M. d’Argental s’il faut que j’aille dans les pays étrangers chercher le repos et la considération qu’on me devait-au moins dans ma patrie. Je vivrai partout honorablement, sans jamais me plaindre, sans rien regretter que quelques amis, et sans jamais oublier vos bontés. Distinguez-moi, je vous en prie, monsieur, de la foule qui vous importune comme magistrat, et ne daignez vous souvenir avec moi que de ce qu’un esprit supérieur comme le vôtre doit à l’humanité. Ma reconnaissance égalera mon attachement, et le zèle tendre et respectueux avec lequel vous savez que je serai toujours votre très-humble et obéissant serviteur.

  1. Éditeur, Léouzon-Leduc.