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420. — Á M. L’ABBÉ DU RESNEL.
Ce 21 juillet.

Si vous ne craignez point, mon cher abbé, d’être en commerce avec un excommunié, souvenez-vous un peu de votre ancienne amitié ; vos lettres me tiendront lieu d’onguent pour la brûlure[1]. Mandez-moi si les belles-lettres ont toujours l’honneur de faire votre occupation, et si vous avez enfin renoncé à ce quart de gloire qui vous revenait du Journal des Savants. Vous méritez qu’on fasse l’extrait de vos pensées, plus que vous n’êtes fait pour extraire celles des autres. Vous devez savoir, par le portier de votre Académie, la demeure d’un de vos confrères, M. de Pouilly[2], et l’adresse à laquelle il faut lui écrire. Je vous supplie de vouloir bien avoir la bonté de m’en instruire. Vous n’avez qu’à envoyer votre lettre chez moi, à Paris ; je vous en serai très-obligé.

Avez-vous lu Didon[3] ? Avez-vous lu le livre de M. de Montesquieu[4] ? Je suis actuellement un pauvre provincial éloigné des sources de l’esprit. C’est par votre canal que je veux tenir encore aux muses. Je me flatte que vous vous souvenez quelquefois de moi, avec M. Dupré de Saint-Maur[5]. Mais il fait plus, il m’écrit. Suivez ce bel exemple. Il n’y a personne dans le monde dont le souvenir et les lettres me soient plus chers que les vôtres.

On m’a envoyé de Paris une malheureuse copie de l’Épître à Émilie, dans laquelle il n’y a pas le sens commun. Entre autres sottises, ils ont mis M. Crozat[6] pour M. Crésus. Ceci est moins une sottise qu’une malice. Je suis fait pour être la victime de la calomnie et de la bêtise. Mais, par la règle des contraires, il faut que je sois défendu par vous.

Adieu, mon cher abbé, je vous aime pour toute ma vie. V.

  1. Les Lettres’philosophiques avaient été condamnées le 10 juin.
  2. À qui est adressée une lettre du 27 février 1739.
  3. Tragédie de Lefranc de Pompignan.
  4. Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains.
  5. Dupré de Saint-Maur (Nicolas-François), né vers 1695, reçu à l’Académie française le 29 décembre 1733 ; cité tomes XVIII, page 588, et XXIV, 261.
  6. Non-seulement aucun des imprimés que j’ai vus ne contient la substitution dont se plaint Voltaire, mais, dans les différentes versions de l’Épître sur la Calomnie, je n’ai point vu de passage où l’on ait pu la faire. Voltaire avait nommé Crozat dans le Temple du Goût (voyez tome VIII, les variantes). Ce financier est appelé Crésus-Crozat dans la lettre au prince de Guise de mars 1738. Louis-François Crozat était fils d’Antoine Crozat, ; qui acheta la Louisiane, et père de Mme  de Choiseul. (B.)