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489. — Á M. THIERIOT.
Á Cirey, le… juin.

Mon cher Thieriot, je suis revenu à Cirey, sur la parole de M. le duc de Richelieu, et même sur celle du garde des sceaux, qui a écrit à M. et Mme  du Chàtelet de manière à dissiper mes craintes présentes, mais à m’en laisser pour l’avenir.

Vraiment vous ne m’aviez pas dit que vous aviez environ 1,500 livres[1] par an, pour la peine de souper tous les jours en bonne compagnie. Et moi, qui sais que toutes les choses de ce monde passent, je craignais que vous ne perdissiez un jour vos soupers, et que vous ne vous trouvassiez sans vin de Champagne et sans fortune. Puisque vous avez l’utile et l’agréable, je n’ai plus qu’à vous féliciter ; mais j’ai toujours à vous exhorter à ménager votre santé et à surmonter votre paresse. Je suis bien content de vous, pour le présent. Vous voilà un peu à votre aise, vous vous portez bien, et vous m’écrivez de grandes lettres ; mais continuez dans ce régime, et ne vous relâchez sur rien de tout cela. Surtout écrivez souvent à votre ami, et souvenez-vous qu’après la maison de Pollion[2] celle de Minerve-Émilie est celle où vous devriez être.

Tâchez de vous assurer, dans votre chemin, de tout ce que vous trouverez qui concernera l’histoire des hommes sous Louis XIV ; de tout ce qui regardera le progrès des arts et de l’esprit. Songez que c’est l’histoire des choses que nous aimons. Vous ne me parlez plus de cette tragédie indienne[3] qui a eu un si beau succès à la première représentation. Qu’est devenu ce succès ? N’est-il pas arrivé la même chose qu’à Gustave Wasa ? et le public n’a-t-il point infirmé son premier jugement ? Je vous remercie du barbouillage que vous m’avez envoyé sous le nom de mon Portrait[4]. Il me paraît que ce prétendu peintre a tort de

  1. Voyez la note de la lettre 237.
  2. Pollion est un des surnoms donnés par Voltaire à La Popelinière.
  3. Abensaïd ; voyez la lettre 483.
  4. Voltaire parle de ce portrait à la fin de sa lettre du 12 juin ; il parut sous le nom d’un comte de Charost. On le trouve dans les Amusements littéraires de La Barre de Beaumarchais, tome I, page 259, où il commence ainsi : « Monsieur de V…… est au-dessous de la taille des grands hommes, c’est-à-dire un peu au-dessus de la médiocre…. ; il est maigre, d’un tempérament sec. Il a la bile brûlée, le visage décharné, l’air spirituel et caustique, les yeux étincelants et malins… Il travaille moins pour la réputation que pour l’argent : il en a faim et soif. » Voltaire dit, dans une de ses lettres de 1757, au pasteur Bertrand, qu’il a cinq pieds trois pouces de haut.