Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propositions sur lesquelles je vous conjure de m’éclairer, et de me faire savoir le sentiment de ceux de vos Pères qui s’adonnent à la philosophie,

1° Je voudrais savoir si vos philosophes qui ont lu attentivement Newton peuvent nier qu’il y ait dans la matière un principe de gravitation qui agit en raison directe des masses, et en raison renversée du carré des distances ; il ne s’agit pas de savoir ce que c’est que cette gravitation : je crois qu’il est impossible de connaître jamais aucun premier principe. Mais Dieu a permis que nous puissions calculer, mesurer, comparer avec certitude. Or il me paraît qu’on peut être aussi certain que la matière gravite selon les lois des forces centripètes qu’il est certain que les trois angles d’un triangle quelconque sont égaux à deux droits,

2° On a regardé comme impie cette proposition : Nous ne pouvons pas assurer qu’il soit impossible à Dieu de communiquer la pensée à la matiere[1]. Je trouve cette proposition religieuse, et la contraire me semble déroger à la toute-puissance du Créateur. Ceux qui me condamnent me reprochent de croire l’âme mortelle. Mais quand même j’aurais dit l’âme est matière, cela serait bien éloigné de dire l’âme périt : car la matière elle-même ne périt point. Son étendue, son impénétrabilité, sa nécessité d’être configurée et d’être dans l’espace, tout cela et mille autres choses lui demeurent après notre mort. Pourquoi ce que vous appelez âme ne demeurerait-il pas ? Il est certain que je ne connais ce que j’appelle matière que par quelqu’une de ses propriétés. Je connais même ces propriétés très-imparfaitement. Comment puis-je donc assurer que Dieu tout-puissant n’a pu lui donner la pensée ? Dieu ne peut pas faire ce qui implique contradiction ; mais il faut, je crois, être bien hardi pour dire que la matière pensante implique contradiction.

Je suis bien loin de croire que je puisse affirmer que la pensée est matière. Je suis bien loin aussi de pouvoir affirmer que j’aie la moindre idée de ce qu’on appelle esprit.

Je dis simplement qu’il me paraît aussi possible que Dieu fasse penser la substance étendue qu’il me paraît possible que Dieu joigne un être étendu à un être immatériel.

Dans le doute, ce qui me fait pencher vers la matière, le voici :

Je suis convaincu que les animaux ont les mêmes sentiments

  1. Voyez tome XXII, page 124.