Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/537

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et les mêmes passions que moi ; qu’ils ont de la mémoire ; qu’ils combinent quelques idées. Les cartésiens les appelleront machines qui ont des passions, qui gardent vingt ans le souvenir d’une action, et qui ont les mêmes organes que nous. Comment les cartésiens répondront-ils à cet argument-ci ?

Dieu ne fait rien en vain ; il a donné aux bêtes les mêmes organes de sentiments qu’à moi : donc si les bêtes n’ont point de sentiment, Dieu a fait ces organes en vain.

Les cartésiens ne peuvent éluder la force de ce raisonnement qu’en disant que Dieu n’a pu faire autrement les organes de la vie des bêtes qu’en les faisant conformes aux nôtres. Ils me répondront que Dieu m’a donné une âme pour flairer par mon nez et pour ouïr par mes oreilles, et que le chien a un nez et des oreilles seulement parce que cela était nécessaire à sa vie.

Or cette réponse est bien méprisable : car il y a des animaux qui n’ont point d’oreilles ; d’autres n’ont point de nez ; d’autres sont sans langue, d’autres sans yeux : donc ces organes ne sont point nécessaires à la vie ; donc ce sont des organes de sentiments : donc les bêtes sentent comme nous.

Maintenant, pourra-t-on assurer qu’il soit impossible à Dieu d’avoir donné le sentiment à ces substances nommées bêtes ? Non, sans doute : donc il n’est pas impossible à Dieu d’en avoir autant fait pour nous. Or il est vraisemblable qu’il en a agi ainsi pour les bêtes : donc il n’est pas hors de vraisemblance qu’il en ait agi ainsi pour nous.

Je viens aux pensées de M. Pascal. Je remarquerai d’abord que je n’ai jamais trouvé personne en ma vie qui n’ait admiré ce livre, et que depuis trois mois plusieurs personnes prétendent qu’elles ont toujours pensé que ce livre était plein de faussetés.

Mais venons au fait. Ma grande dispute avec Pascal roule précisément sur le fondement de son livre.

Il prétend que pour qu’une religion soit vraie, il faut qu’elle connaisse à fond la nature humaines[1] et qu’elle rende raison de tout ce qui se passe dans notre cœur.

Je prétends que ce n’est point ainsi qu’on doit examiner une religion, et que c’est la traiter comme un système de philosophie ; je prétends qu’il faut uniquement voir si cette religion est révélée ou non, et qu’ainsi il ne faut pas dire : Les hommes sont légers,

  1. Voyez tome XXII, pages 28-29.