Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/541

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divisible, ni comme étendue qu’elle peut penser ; mais la pensée peut lui être donnée de Dieu, comme Dieu lui a donné le mouvement et l’attraction, qui ne lui sont pas essentiels, et qui n’ont rien de commun avec la divisibilité. Je sais bien qu’une pensée n’est ni carrée, ni octogone, ni rouge, ni bleue ; qu’elle n’a ni quart, ni moitié ; mais le mouvement et la gravitation ne sont rien de tout cela, et cependant existent. Il n’est donc pas plus difficile à Dieu d’ajouter la pensée à la matière que de lui avoir ajouté le mouvement et la gravitation.

Je vous avoue que plus je considère cette question, et plus je suis étonné de la témérité des hommes qui osent ainsi borner la puissance du Créateur à l’aide d’un syllogisme.

Vous croyez que les mots je et moi, et ce qui constitue la personnalité, est encore une preuve de l’immatérialité de l’âme. N’est-ce pas toujours supposer ce qui est en question ? Car qui empêchera un être organisé qui pense de dire je et moi ? Ne serait-ce pas toujours une personne différente d’un autre corps, soit pensant, soit non pensant ?

Vous demandez d’où viendrait l’idée de l’immatérialité à un être purement matériel ; je réponds : De la même source d’où vient l’idée de l’infini à un être fini. Vous parlez après cela d’Aristote et d’un enfant qui raisonne sur sa poupée ; les deux comparaisons ne sont que trop bien assorties : Aristote, en fait de saine philosophie, n’était qu’un enfant ; est-il possible que vous puissiez citer un homme qui n’a jamais mis que des paroles à la place des choses ? À l’égard de l’enfant et de sa poupée, quel rapport cela peut-il avoir avec la question présente ? J’avais dit qu’il faudrait connaître à fond la matière pour oser décider que Dieu ne la peut rendre pensante ; et il est très-vrai que nous ne savons ce que c’est que matière, et ce que c’est qu’esprit : et là-dessus vous me dites que les esprits forts, pour se tirer d’affaire, répondent qu’ils n’ont aucune idée de matière, ni d’esprit, ni de vertu, ni de vice.

Que font là, je vous prie, les vertus et les vices ? Dieu en sera-t-il moins le législateur des hommes quand il aura fait penser leur corps ? Un fils en devra-t-il moins le respect à son père ? Devra-t-on être moins juste, moins doux, moins indulgent ? L’âme en sera-t-elle moins immortelle ? Sera-t-il plus difficile à Dieu de conserver à jamais les petites particules auxquelles il aura attaché le sentiment et la pensée ? Qu’importe de quoi votre âme soit faite, pourvu qu’elle use bien de la liberté que Dieu a daigné lui accorder ? Cette question a si peu de rapport à la religion que