Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

public. Quelle fureur possède cet homme, qui n’a d’idées dans l’esprit que celles de la satire, et de sentiments dans le cœur que ceux de la plus lâche ingratitude ? Je ne lui ai jamais fait que du bien, et il ne perd aucune occasion de m’outrager. Il joint les imputations les plus odieuses aux critiques d’un ignorant et d’un homme sans goût. Il dit que César est une pièce contre les bonnes mœurs, et il ajoute que Brutus a les sentiments d’un quaker plutôt que d’un stoïcien[1]. Il ne sait pas qu’un quaker est un religieux au milieu du monde, qui fait vœu de patience et d’humilité, et qui, loin de venger les injures publiques, ne venge jamais les siennes, et ne porte pas même d’épée. Il avance, avec la même ignorance, que Brutus était un particulier sans caractère, oubliant qu’il était préteur. C’est avec le même esprit que ce prétendu critique, en condamnant le Temple du Goût[2], veut justifier la ressemblance de la plupart des caractères des héros de Racine, tels que Bajazet, Xipharès, Hippolyte, que je nomme expressément. Je dis qu’ils paraissent un peu courtisans français, et il parle du caractère de Pyrrhus, dont je n’ai pas dit un mot. Il met ensuite la Henriade à côté des ouvrages de Mlle  Malcrais[3]. Il veut faire l’extrait d’un ouvrage anglais, intitulé Alciphron, du docteur Berkeley, qui passe pour un saint dans sa communion. Ce livre est un dialogue en faveur de la religion chrétienne. Il y a un interlocuteur qui est un incrédule. L’abbé Desfontaines prend les sentiments de cet interlocuteur pour les sentiments de l’auteur, et traite hardiment Berkeley d’athée. Il loue les plus mauvais ouvrages du même fonds d’iniquité et de mauvais goût dont il condamne les bons. Je crois bien que le public éclairé me vengera de ses impertinentes critiques ; mais je voudrais bien que l’on sût qu’au moins la tragédie de Jules César n’est point de moi telle qu’elle est imprimée. Peut-on m’imputer des vers sans rime, sans mesure, et sans raison, dont cette misérable édition est parsemée ? Vous êtes des amis du Pour et Contre[4] ; engagez-le, je vous en prie, à me rendre justice dans cette occasion. À l’égard de l’abbé Desfontaines, ne pourriez-vous pas lui faire sentir l’infamie de son procédé, et à quoi il

  1. « Ce Romain (Brutus), plus quaker que stoïcien, a des sentiments plus monstrueux qu’héroïques. » (Observations, tome II, page 270.)
  2. Observations, tome I, page 8.
  3. Observations, tome I, pages 17 à 19. On a vu que Mlle  Malcrais de la Vigne était redevenue M. Desforges-Maillard, au commencement de 1735, après avoir reçu des vers galants de Destouches, de Lefranc, et de Voltaire.
  4. De l’abbé Prévost.