Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/565

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ses compliments au vôtre. Faites ma cour à ce charmant bienfaiteur.

Buvez ma santé tous les deux
Avec ce Champagne mousseux
Qui brille ainsi que son génie.
Moi, chez la sublime Émilie,
Dans nos soupers délicieux,
Je bois à vous en ambroisie.

Je lui ai tout au moins autant d’obligations que vous en avez à M. de La Popelinière. Ce qu’elle a fait pour moi dans l’indigne persécution que j’ai essuyée, et la manière dont elle m’a servi m’attacherait à son char pour jamais si les lumières singulières de son esprit, et cette supériorité qu’elle a sur toutes les femmes, ne m’avaient déjà enchaîné. Vous savez si mon cœur connaît l’amitié : jugez quel attachement infini je dois avoir pour une personne dans qui je trouve de quoi oublier tout le monde, auprès de qui je m’éclaire tous les jours, à qui je dois tout. Mon respect et ma tendre amitié pour elle sont d’autant plus forts que le public l’a indignement traitée. On n’a connu ni ses vertus, ni son esprit supérieur. Le public était indigne d’elle. Vous m’allez dire qu’en vivant dans le sein de l’amitié et de la philosophie je devrais ne point sentir ces piqûres d’épingle de l’abbé Desfontaines, et ces calomnies dont on m’a noirci. Non, mon ami, du même fonds de sensibilité que j’idolâtre le mérite et les bontés de Mme  du Châtelet, je suis sensible à l’ingratitude, et je voudrais qu’un homme témoin de tant de vertus ne fut point calomnié. Arrangez tout pour le mieux avec l’abbé Prévost, je lui aurai une véritable obligation. J’ai peur seulement que cette scène traduite de Shakespeare ne soit imprimée dans d’autres journaux ; j’ai peur même que l’abbé Asselin ne l’ait donnée à l’abbé Desfontaines ; mais ne pourriez-vous pas parler ou faire parler à l’abbé Desfontaines même ? Ne lui reste-t-il aucune pudeur ?

Je vous avertis qu’on va imprimer le Jules César à Amsterdam. J’y enverrai le manuscrit correct. Après cela il faudra bien qu’il paraisse en France. On prépare en Hollande une nouvelle édition de mes folies en prose et en vers. Voici encore de la besogne pour moi. Il faut que je passe le rabot sur bien des endroits ; il faut assommer mon imagination par un travail pénible, mais ce n’est qu’à ce prix qu’on peut faire quelque honneur à son pays. Labor improbus omnia vincît. Si ceux qui sont à la tête des spectacles aiment assez les beaux-arts pour protéger notre grand musicien Rameau, il faudra qu’il donne son Samson. Je lui ferai