Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/567

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distinguent entre le goût des nations et celui des Français ; ils savent par cœur une partie de ces vers que l’abbé Desfontaines trouve si durs et si faibles ; ils disent que Brutus doit parler en Brutus ; ils savent que ce Romain a écrit à Cicéron et à Antoine qu’il aurait tué son père pour le salut de l’État ; ils ne me reprochent point un tutoiement qui est si noble en poésie que c’est la seule manière dont on parle à Dieu ; ils ne traitent point de controverse l’admirable scène de Shakespeare, dont on n’a joué chez vous qu’une petite partie, et qu’on a imprimée si ridiculement. Quand ils voient des vers tels que celui-ci :

À vos tyrans Brutus ne parle qu’au sénat,

ils savent bien, pour peu qu’ils aient de connaissance de la langue française, qu’un tel vers ne peut être de moi.

Je pardonne de tout mon cœur à l’abbé Desfontaines si, dans les choses désagréables qu’il a semées contre moi dans vingt de ses feuilles, il n’a point eu l’intention de m’outrager. Cependant, monsieur, je vous enverrai, si vous voulez, vingt lettres de mes amis qui me parlent de son procédé avec beaucoup plus de chaleur que je n’en ai parlé moi-même. Enfin, monsieur, quoi qu’il en soit, j’oublierai tout. Les disputes des gens de lettres ne servent qu’à faire rire les sots aux dépens des gens d’esprit, et à déshonorer les talents, qu’on devrait rendre respectables. Je puis vous assurer qu’il y a plus d’un ennemi de l’abbé Desfontaines qui m’a écrit pour me proposer des vengeances que j’ai rejetées. Je souhaite qu’il revienne à moi avec l’amitié que j’avais droit d’attendre de lui ; mon amitié ne sera pas altérée par la différence de nos opinions. Vous pouvez lui communiquer cette lettre. Je vous suis attaché pour toute ma vie, avec bien de la reconnaissance.


522. — Á M. L’ABBÉ FRANCHINI[1],
à la suite d′une lettre de m. algarotti[2], qui était a cirey, chez Mme du châtelet
Cirey, 10 novembre 1735.

Votre ami, qu’en tout genre il est si doux d’entendre,
En vantant nos plaisirs, se plaint de leur langueur.

  1. Pièces inédites de Voltaire, 1820. — Voyez, sur l’abbé Franchini, page 340, note 2.
  2. Algarotti (François), ne à Venise en 1712, mort à Pise le 3 mars 1764, auteur du Neutonianismo per le dame. — Voyez la lettre 520.