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cultivent les beaux-arts, et avec la reconnaissance que je dois à ceux qui ont si souvent orné mes faibles productions et fait pardonner mes fautes[1], votre, etc.


530. — AU P. TOURNEMINE[2].
1735.

L’estime et la respectueuse amitié que j’ai eues pour vous, depuis mon enfance, m’avaient inspiré de m’adresser à vous pour avoir la solution de quelques-uns de mes doutes. Non-seulement vous m’avez répondu avec autant d’esprit que de bonté, mais vous avez rendu votre réponse publique, et vous l’avez même fortifiée de raisons et d’instructions nouvelles. L’obligation que je vous ai est devenue celle de tous les hommes qui cultivent leur raison. C’est pour leur satisfaction, autant que pour la mienne, que je prends la liberté de vous demander encore de nouveaux éclaircissements, avec la confiance d’un disciple qui s’adresse à son maître.

Il s’agit de savoir si M. Locke, en examinant les bornes de l’entendement humain (sans aucun rapport à la foi), a eu raison de dire qu’il est possible à Dieu de donner la pensée à la matière. La question n’est pas de savoir si la matière pense par elle-même : ce sentiment est rejeté par M. Locke comme absurde. Il ne s’agit pas non plus de savoir si notre âme est spirituelle ou non ; le point de la question est uniquement de voir si nous avons assez de connaissance de la matière et de la pensée pour oser affirmer cette proposition : Dieu en peut communiquer la pensée à l’être que nous appelons matière. Vous tenez avec beaucoup de philosophes que cela est impossible à Dieu.

Voici le premier argument que vous apportez.

Pour juger d’un objet, il faut l’apercevoir tout entier indivisiblement ; et vous en concluez que l’âme est nécessairement un être simple, et que par conséquent elle ne peut être matière.

Cet argument, que vous appelez démonstration, laisse encore quelques doutes dans mon esprit, soit que je ne l’aie pas assez compris, soit que j’aie encore quelque préjugé qui m’empêche d’en apercevoir toute l’évidence.

  1. Voltaire obtint des comédiens ce qu’il leur demandait. Lefranc, de son côté, leur écrivit aussi pour le même sujet ; voyez sa lettre, qui est d’un style bien différent de celui de Voltaire, tome X, note du vers 176 du Pauvre Diable.
  2. C’est une réponse à la lettre du Père Tournemine, dont nous avons donné le titre dans une note de la lettre 528.