Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/581

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est quelque chose d’essentiellement différent de tout pur esprit créé.

2° Je réponds que nous recevons l’idée d’un être immatériel, comme l’idée de l′infini qui nous vient sans que nous soyons infinis pour cela.

Je passe ce que vous dites d’une poupée et d’un enfant, persuadé que vous ne voulez point parler sérieusement.

Vous prétendez que quand on dit je et moi et unité, cela prouve que nous connaissons ce que c’est que l’esprit.

Je et moi signifie-t-il autre chose que ma personne ? Et une unité n’est-elle pas aussi bien une unité de matière qu’une autre substance ?

Vous me dites que les esprits forts répondent à cela qu’ils n’ont aucune idée ni d’esprit, ni de matière, ni de vertu, ni de vice : il ne s’agit assurément ici ni de vertu ni de vice ; et M. Locke, le plus sage et le plus vertueux de tous les hommes, était bien loin d’avancer une impiété aussi absurde et aussi horrible. Pour vous prouver, non pas que notre pensée est une action de Dieu sur la matière, mais qu’elle peut être une action de Dieu sur la matière, et, ce qu’il faut toujours répéter, qu’il n’est pas impossible à l’Être infiniment puissant de faire penser un corps, je vous avais apporté l’exemple des bêtes ; vous me répondez : La bête sera ce qu’il vous plaira. Je vous supplie d’examiner la chose avec un peu d’attention, il ne paraît qu’elle en vaut la peine.

Toute question n’est pas susceptible de démonstration, mais il faut examiner ce qui est le plus probable ; non pas pour le croire fermement, mais pour croire au moins qu’il est probable.

Or il est de la plus grande probabilité que les bêtes ont des sentiments, des idées, de la mémoire, etc. Je n’entrerai pas ici dans les preuves d’expérience dont on ferait des volumes, mais je dirai en philosophe : Les bêtes ont les mêmes organes de sentiment que nous ; la nature ne fait rien en vain : donc Dieu ne leur a point donné des organes de sentiment pour qu’elles n’aient point de sentiment ; donc elles en ont comme nous.

Si on me dit à cela que les ressorts que je prends pour organes de leurs cinq sens sont seulement en eux les organes de la vie, je réponds que les animaux peuvent avoir la vie sans leurs cinq sens, puisqu’il y en a qui n’ont que trois ou deux sens, et qui vivent : donc les organes des sens leur sont donnés pour autre chose que pour la vie ; donc ils ont du sentiment : donc ils ont cela de commun avec nous. Or, ou Dieu a ajouté le sentiment à ces portions de matière, ou il leur a donné une âme