Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlé en ma faveur ne pourrait-elle pas dire trois choses au garde des sceaux ? La première, qu’il est très-faux qu’il ait des chants de mon ouvrage, ou qu’il a un ouvrage supposé par un traître ; la seconde, que je n’ai jamais rien fait qui dût lui déplaire ; la troisième, qu’il n’y a que de la honte à me persécuter. Voyez s’il pourrait confire au miel de la cour le fond de ces trois vérités.

Passons des horreurs de la persécution aux tracasseries de Lefranc. Il est faux que l’abbé de Voisenon lui ait dit le détail de mon sujet. Il a su le fond en général par lui, et un peu de détail par un autre, et il s’est pressé de travailler. C’est un homme qui veut, à ce que je vois, aller à la gloire par le chemin de la honte, s’il est, comme on me le mande, le plagiaire des auteurs, et le busy-body des comédiens.

Voyez, avec par nobile fratrum, si vous pensez que ma pièce puisse soutenir le grand jour après celle de Lefranc. Au bout du compte, si mon ouvrage vous paraissait passable, y aurait-il tant d’inconvénients à le laisser passer le dernier ? Le public même, si revenu de son estime pour la Didon et pour l’auteur, ne prendrait-il pas mon parti, d’autant plus qu’on me persécute ? Pourriez-vous savoir ce qu’en pense Dufresne[1], et me le mander ? Adressez toujours vos lettres, jusqu’à nouvel ordre, chez Demoulin.

Adieu ; je vous embrasse bien tendrement et avec tous les sentiments que je vous dois, et que j’aurai pour vous toute ma vie.

P. S. J’oubliais de vous dire, mon cher ami, que j’ai fait mon examen de conscience, au sujet de Pétersbourg. Tout ce que je sais, c’est que le duc de Holstein[2], héritier présomptif de la Russie, me voulut avoir, il y a un an, et me donner dix mille francs d’appointements ; mais, tout persécuté que j’étais, je n’aurais pas quitté Cirey pour le trône de la Russie même. Je répondis d’une manière respectueuse et mesurée. Tout ce que cela prouve, c’est que Keeper[3] devrait moins persécuter un homme qui refusa dans les pays étrangers de pareils établissements.

  1. Quinault-Dufresne ; voyez la lettre 257.
  2. Charles-Frédéric de Holstein-Gottorp, marié, en 1725, à Anne, fille aînée de Pierre le Grand, mort en 1739. (Cl.)
  3. Par ce mot anglais, qui signifie garde, Voltaire désigne le garde des sceaux.