Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/184

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Des manières qui retracent ces vertus de nos pères ne sont pas tolérables ; et nos pères, dans la bouche d’un valet !

Je vous supplie de faire dire :

Cet air, ce port, cette âme bienfaisante,
Du bon vieux temps est l’image parlante.

Je conçois bien que toutes ces corrections furent faites à la hâte ; mais n’aurait-on pas pu différer de trois jours la première représentation ? Vous savez que je corrige tout ce qu’on veut, et que je ne fais pas attendre. Ce que j’en dis au moins n’est pas pour me plaindre ; je ne suis ni fou ni ingrat, c’est seulement pour contribuer un peu d´avantage à la fortune de notre enfant, que vous aimez.

Si on n’aime plus absolument que le comique noble et intéressant, gare pour la tragédie ! La comédie va prendre la place ; mais notre théâtre passera en Europe pour très-vicieux, et nous allons perdre la seule supériorité que nous avions. Nos comédies deviendront des tragédies bourgeoises, dépouillées de l’harmonie des bons vers. Mon sentiment était que l’on joignît le comique à l’intérêt, et c’est de quoi j’ai vu un essai bien estimable dans le Glorieux. Ce mélange de plaisanterie et d’attendrissement me paraît la vraie peinture de la vie civile. C’est dans cette idée que je voulais donner à la Croupillac un caractère de bonne diablesse sur le retour, avouant franchement son amour et ses rides, s’expliquant plaisamment, et en vers corrects et frappés. Je vous demande en grâce de relire les premiers actes tels que je les ai envoyés à M. d’Argental. J’ose croire que je n’y suis pas trop éloigné du but ; et si cette tournure ne plaît pas, il faut absolument supprimer la Croupillac.

Je vous écris, charmante Thalie, par une autre route que celle de Vassy. Il y a sur la route de Vassy, dans la ville de Meaux, un bureau de commis maladroits qui, sans y penser, décachètent les lettres, et puis en font des extraits. Je suis très fâché que vous les ayez mis dans la confidence des choses que vous m’avez reprochées. On croirait, par votre lettre, que j’ai écrit quelque chose d’horrible sur des matières sacrées. Je n’ai pourtant fait aucun ouvrage dont la religion et les mœurs ne fussent le fondement : la Henriade, Alzire, Zaïre, en sont des preuves assez publiques. Si on a pris de travers un ouvrage très innocent, et fait il y a deux ans, ce n’est pas ma faute. On dit qu’il s’est trouvé chez feu M. l’évêque de Luçon, et que le président Dupuy en a fait mille copies. D’ailleurs, un chartreux ne